Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Journal of Film Studies
Volume 11, numéro 1, automne 2000 Écritures dans les cinémas d’Afrique noire Sous la direction de De B’béri Boulou Ebanda
Sommaire (13 articles)
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Présentation
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Tactiques scripturaires dans les cinémas d’Afrique noire
De B’béri Boulou Ebanda
p. 11–30
RésuméFR :
Notre réflexion sur le cinéma d'Afrique noire trouve son point de départ dans les concepts de stratégie et de tactique, que nous empruntons à Michel de Certeau. Notre hypothèse est que les cinémas d'Afrique noire s'infiltrent dans les structures stratégiques des cinémas dominants, créant ainsi de nouvelles voies d'analyse. Un survol historique des images et discours sur l'Afrique montrera comment s'opèrent la réappropriation et la rappropriation de l'image du Noir par le Noir. La description de deux séquences de films montrera comment la rappropriation s'effectue par des détournements fortement politisés.
EN :
Our research on Black African cinema takes as its starting point the concepts of strategy and tactics, which we borrowed from Michel de Certeau. Our hypothesis is that Black African cinemas infiltrate the strategic structures of dominant cinemas, thereby opening up new paths for analysis. A historical overview of images and discourses about Africa will show how the reappropriation and rappropriation of the image of Blacks by Blacks themselves operate. The description of two film sequences will then show how reappropriation functions through strongly politicized diversions.
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À nous la rue de Moustapha Dao : de la représentation à la présentification du réel
Catherine Koassiwa Topou
p. 31–44
RésuméFR :
Parler de cinéma, est-ce nécessairement aborder la question de la représentation du réel? À tout le moins semble-t-il que les films des cinématographies africaines, films issus du réel, résistent à cette notion de représentation. Le film À nous la rue (1987), du cinéaste burkinabé Moustapha Dao, constituera le point de départ de notre investigation. Il permettra d'interroger, notamment, le concept de mimesis lié aux théories de l'esthétique occidentale. Notre propos est de démontrer que la compréhension d'un cinéma comme celui de Moustapha Dao, à l'instar des créations statuaires africaines, passe par le concept de présentification.
EN :
Does any discussion about cinema necessarily imply a discussion of the question of the representation of reality? It seems, at the very least, that films from various African cinemas, although stemming from reality, resist this notion of representation. À nous la rue (1987), directed by Burkina Faso filmmaker Moustapha Dao, will serve as the starting point of our research. It will allow us to question, among other issues, the concept of mimesis as developed by Western aesthetic theories. Our intention is to show that the understanding of a cinema such as Moustapha Dao's (as of African statuary creations) involves the concept of presentification.
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Keïta! L’héritage du griot : l’esthétique de la parole au service de l'image
Joseph Paré
p. 45–59
RésuméFR :
Le film de Dani Kouyaté Keïta! L'héritage du griot (1995) participe d'une esthétique de la réutilisation, c'est-à-dire qu'il réutilise l'esthétique africaine traditionnelle. C'est que le personnage du griot permet au réalisateur de rendre complémentaires les possibles narratifs. Notre propos est de mettre en relief la manière dont l'oralité prend en charge la narration, de dégager les codes narratifs et l'archéologie du discours qui en sont le modulateur. Cette oralité n'étant pas simplement un élément d'apparat, il s'opère une médiation entre la parole et l'image, une médiation qui permet de rendre compte de l'efficace de l'esthétique de la parole.
EN :
Dani Kouyaté's film Keïta! L'héritage du griot (1995) partakes of an aesthetics of reuse, that is, it reuses the traditional African aesthetic. Indeed, the figure of the griot enables the director to make the various narrative possibilities complementary. Our intention here is to emphasize how orality takes charge of the narration, as well as to bring out the narrative codes and the archaeology of discourse that inflect it. This orality being more than ceremonial, a mediation occurs between speech and image, which provides, in turn, an account of the effective power of the aesthetics of speech.
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Enjeux interprétatifs de la féminité dans l’écriture de Souleymane Cissé
Samuel Lelièvre
p. 61–76
RésuméFR :
Dans tout le cinéma de Cissé se retrouvent deux thèmes : l'Afrique et la femme. Si bien qu'on pourrait considérer que s'y développent des thèses panafricaines ou féministes. Mais à eux seuls ces cadres idéologiques ne permettent pas de saisir la relation qu'entretiennent, selon le Malien, l'Afrique et la femme avec la féminité. Dans un premier temps, cette relation sera abordée à travers la description concrète que fait le cinéaste de la condition des femmes africaines; dans un second temps, elle sera identifiée au passage à un discours plus abstrait du cinéaste sur la condition féminine de l'Afrique. On comprendra ce passage dans la mesure où on aura d'abord considéré l'écriture cinématographique de Cissé sur la féminité comme porteuse d'un sens métaphorique.
EN :
The recurrence of two themes (Africa and women) in Cissé's cinema as a whole would tend to suggest that his body of work develops pan-African as well as feminist theses. Yet these ideological frameworks alone do not suffice to understand the relationship which, according to the Malian director, Africa and women have with femininity. This relationship will first be examined through the concrete description by the filmmaker of the condition of African women; it will then be identified with Cissé's movement towards a more abstract discourse on the condition of women in Africa.
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La réécriture comme plus-value sémantique : montage, technique et discours dans le cinéma africain
Alexie Tcheuyap
p. 77–95
RésuméFR :
Un fait semble avoir jusqu'ici échappé à la recherche : la capacité d'emprunt du cinéma africain. Nombre de films produits sur le continent sont en effet tirés de textes littéraires. Cet article engage de manière frontale la question des réécritures filmiques en Afrique. Que devient le texte littéraire à l'écran? En admettant que le texte est ouvert à toute hypothèse herméneutique, quels sens sont ajoutés au texte littéraire par le film? L'analyse considère deux prismes majeurs : le montage et la technique comme lieux d'inscription discursive permettant de porter le film à des horizons sémantiques inexplorés par le texte tuteur. On se situe dès lors dans le domaine de renonciation dont on déterminera des signifiants spécifiques.
EN :
A fact seems to have eluded research so far : the capacity of African cinema to borrow. Many films produced on that continent have indeed been adapted from literary texts. This article deals head-on with the question of film réécritures in Africa. What becomes of the literary text on the screen? Assuming that the text is open to any hermeneutic hypothesis, which meanings are added to the literary text by the film? This analysis takes into account two major aspects : montage and technique, as loci of discursive inscription allowing the film to be brought to semantic horizons unexplored by the source text. It then situates itself in the domain of enunciation, for which specific signifiers will be identified.
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Perspectives anthropologiques : images, tradition et cinéma en Afrique noire au sud du Sahara
Jean-Michel Vidal
p. 97–112
RésuméFR :
Il existe dans les cultures africaines au sud du Sahara (mais aussi dans de nombreuses autres cultures de par le monde) une adhésion très forte aux images, même et surtout si elles transforment la ou les réalités auxquelles elles prétendent ressembler. Cet article part du principe que les images sont toujours codées culturellement, à la fois par ceux qui les font naître, par ceux qui les véhiculent et par ceux qui les reçoivent. Le cinéma africain, qui désormais inclut des réalisatrices, permet au public africain, inconsciemment ou pas, de négocier avec son environnement culturel, matériel et politique en perpétuelle mouvance.
EN :
African cultures from the Sub-Sahara (as well as many other cultures worldwide) evince a very strong interest for images, all the more so if these transform the reality(-ies) to which they claim some resemblance. This article takes as its premise the fact that images are always culturally encoded, be it by those who create them, those who circulate them or those who receive them. African cinema, which now involves female directors, enables African audiences, unconsciously or not, to negotiate with their ever-changing cultural, material and political environment.
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Les nouvelles écritures francophones des cinéastes afro-européens
Olivier Barlet
p. 113–132
RésuméFR :
Comment filmer la vie? Le Tchadien Mahamat Saleh Haroun pose la question dans Bye bye Africa (1998). Il n'a pas la réponse et ne peut que tenter des explorations. Un film à tiroirs, c'est ainsi qu'il définit son film. Devant les déchirures modernes, les cinéastes d'Afrique ne peuvent que tirer des tiroirs bourrés de questions, d'incertitude et de doute. Ceux que tire Haroun dans Bye bye Africa me semblent emblématiques d'une quête thématique et donc esthétique très fortement présente dans les films récents des cinéastes francophones d'origine africaine vivant en Europe : la mémoire et la responsabilité.
EN :
How should life be filmed? Chad filmmaker Mahamat Saleh Haroun asks the question in Bye bye Africa (1998). He does not have the answer and can only attempt and explore the issue. He defines his film as a film à tiroirs : in the face of contemporary dissensions, African filmmakers can only open drawers crammed with questions, uncertainty and doubt. The ones Haroun opens in Bye bye Africa seem to me emblematic of a thematic, and therefore aesthetic quest very strongly present in recent films by francophone filmmakers of African origin now living in Europe : memory and responsibility.
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Un cinéma soufi? Islam, ombres, modernité
Walid El Khachab
p. 133–149
RésuméFR :
Dans sa Poétique du cinéma, Raoul Ruiz cite l'émir Abdel Kader, qui utilise la figure de l'appareil photographique comme allégorie du rapport entre Dieu et les créatures : Dieu est invisible, mais la reproduction de ce négatif initial qu'est son image constitue les créatures et le papier des photos reproduites (Materia prima) correspond à la disponibilité du possible. Selon ses propres termes, Raoul Ruiz fait une lecture oblique d'Abdel Kader : en partant d'une perspective néoplatonicienne, il confine les réflexions de l'émir au statut des ombres projetées sur l'image (de Dieu) dans leur rapport avec la réalité. Ma lecture, peut-être oblique elle aussi, prétend jeter les bases d'une théorie fondée sur la dimension politique du soufisme et la conception soufie des ombres chinoises, qui pourrait expliquer le statut du cinéma et son rapport intrinsèque avec le mélodrame dans les pays de culture islamique.
EN :
In his Poétique du cinéma, Raul Ruiz quotes the emir Abdel Kader, who uses the figure of the camera as an allegory of the relationship between God and the creatures. God is invisible, yet the reproduction of this initial negative which his image is constitutes the creatures, while the paper of the reproduced pictures (Materia Prima) corresponds to the availability of the possible. In his own words, Ruiz reads Abdel Kader obliquely : starting from a neo-platonician perspective, he confines the emir's thoughts to the status of the shadows cast on the image (of God) in their relationship with reality. My reading, may be oblique as well, aims to lay the bases of a theory founded on the political dimension of Sufism and the Sufi conception underlying shadowshows, which would account for the status of cinema and its intrinsic relationship with melodrama in Islamic countries.
Hors dossier / Miscellaneous
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Audio-visual Mediation : Reconfiguring the Discursive Problematic of Cinema and History
Tollof Nelson
p. 153–168
RésuméEN :
This brief article maps out some of the central concerns and questions raised in two relatively recent anthologies of essays by major intellectuals, film scholars and historians. In addition to problematizing the representation of history and audio-visual media, these two anthologies examplify the circulation of ideas, the bridges as well as the divisions between the interests of academic inquiry in North America and Europe. What seems to be a common preoccupation, the weight of history in cinema, is only the marker of a clear line of division which is emblematic of divergent values and institutional orientations.
FR :
Cet article se veut une esquisse des questions soulevées dans leurs textes par des intellectuels, des théoriciens et des historiens dans deux anthologies récentes. Tout en renouvelant la problématique de la représentation de l'histoire dans l'optique de la médiation audio-visuelle, les deux anthologies véhiculent un « débat » implicite qui traverse et qui divise les intérêts de l'investigation académique en Amérique du Nord et en Europe. Ce qui semble être une préoccupation commune, le poids de l'histoire dans le cinéma, n'est que la marque d'une division nette, emblématique des valeurs et des orientations institutionnelles divergentes.