Les ateliers de l'éthique
The Ethics Forum
Volume 7, numéro 2, automne 2012
Sommaire (9 articles)
Dossier : Migration, citoyenneté et inégalités globales
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Sous la direction de Martin Provencher
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Migration, citoyenneté et inégalités globales : introduction
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Transcending national citizenship or taming it ? Ayelet Shachar’s Birthright Lottery
Duncan Ivison
p. 9–17
RésuméEN :
Recent political theory has attempted to unbundle demos and ethnos, and thus citizenship from national identity. There are two possible ways to meet this challenge: by taming the relationship between citizenship and the nation, for example, by defending a form of liberal multicultural nationalism, or by transcending it with a postnational, cosmopolitan conception of citizenship. Both strategies run up against the boundedness of democratic authority. In this paper, I argue that Shachar adresses this issue in an innovative way, but remains ultimately trapped by it. My argument has two parts. In the first one, I look at the analogy between property and citizenship on which Shachar rely to justify the obligations of wealthy states towards the global poor. I suggest that it does not work well to explain the rarity of citizenship and that the idea of taxing its value at the global level, however intuitive in liberal theory on property, could yield unexpected and non-liberal consequences. Nevertheless I also assess its merits. In the second part, I suggest that Shachar’s claim that her argument generates a legal obligation toward the global poor is not binding. It could only be so with the kind of cosmopolitan political institutions that she eschews. Thus we return where we begin.
FR :
La théorie politique récente a tenté de dénouer les liens entre le demos et l’ethnos dans les sociétés libérales, ainsi que le lien entre la citoyenneté et l’identité nationale. On peut répondre à ce défi de deux manières différentes : soit en apprivoisant le lien entre la citoyenneté et la nation, par exemple, en défendant une forme de nationalisme multiculturel libéral, soit en le transcendant à l’aide d’une conception postnationale ou cosmopolitique de la citoyenneté. Ces deux stratégies présentent toutefois des difficultés du point de vue de l’autorité démocratique. Dans cet article, je soutiens que Shachar apporte une contribution originale à ce débat, mais qu’en dernière analyse, elle demeure prisonnière de ce dilemme. Mon argument procède en deux parties. Dans la première, j’examine l’analogie entre la propriété et la citoyenneté sur laquelle Shachar fonde les obligations morales des États riches envers les pauvres. Je fais valoir qu’elle répond mal au problème de la rareté de la citoyenneté et que l’idée de taxer la valeur de cette dernière à l’échelle globale, pour intuitive qu’elle soit dans la pensée libérale, pourrait avoir des conséquences imprévues et non libérales. Je reconnais néanmoins ses mérites. Dans la seconde partie, je montre que la prétention de Shachar à l’effet d’avancer un argument qui comporte une obligation légale envers les pauvres de la planète n’est pas fondée. Elle ne pourrait l’être que si l’on disposait d’institutions politiques cosmopolitiques globales, une possibilité qu’elle rejette. Or, cela nous reconduit à notre point de départ.
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What Justice Entails
Víctor M. Muñiz-Fraticelli
p. 18–33
RésuméEN :
In The Birthright Lottery, Ayelet Shachar subjects the institution of birthright citizenship to close scrutiny by applying to citizenship the historical and philosophical critique of hereditary ownership built up over four centuries of liberal and democratic theory, and proposing compelling alternatives drawn from the theory of private law to the usual modes of conveyance of membership. Nonetheless, there are some difficulties with this critique. First, the analogy between entailed property and birthright citizenship is not as illustrative as Shachar intends it to be; second, the mechanism of the birthright privilege levy is insufficient for addressing structural impediments to growth; and third, the principle of ius nexi, while an important corrective to currently dominant principles of nationality, will likely have effects both unnecessary and insufficient to correct the injustices that Shachar identifies. In the end, the most significant improvements in the lives of the neediest persons on the planet are more likely advanced through conventional arguments for the lowering of barriers to the circulation of goods, labor, and capital. This shift in attention from opening borders to extending citizenship risks being a distraction from more effective means of addressing the injustices associated with global inequality.
FR :
Dans son livre The Birthright Lottery, Ayelet Shachar soumet l’institution de la citoyenneté par droit de naissance à un examen rigoureux, en appliquant à la citoyenneté la critique philosophique et historique de la propriété héritée construite pendant quatre siècles de théorie démocratique libérale, et en proposant aux modes habituels d’attribution de la citoyenneté une alternative séduisante tirée de la théorie du droit privé. Néanmoins, cette critique comporte certaines difficultés. Premièrement, l’analogie entre la transmission de la propriété par l’institution de la taille et la citoyenneté par droit de naissance n’est pas aussi éclairante que le soutient Shachar ; deuxièmement, le mécanisme de la taxe sur le privilège du droit de naissance est insuffisant pour s’attaquer aux obstacles structurels à la croissance ; et troisièmement, le principe du jus nexi, bien qu’on puisse le considérer comme un important correctif du principe de nationalité actuellement dominant, aura vraisemblablement des effets à la fois non nécessaires et insuffisants pour corriger les injustices que Shachar identifie. En fin de compte, les améliorations les plus significatives dans la vie des personnes les plus démunies de la planète sont vraisemblablement mieux défendues à l’aide des arguments conventionnels en faveur d’une baisse des barrières à la circulation des biens, du travail et du capital. Ce déplacement de l’attention de l’ouverture des frontières à l’extension de la citoyenneté risque de nous distraire des moyens plus efficaces de nous attaquer aux injustices associées à l’inégalité globale.
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Migration and Equality: Should Citizenship Levy Be a Tax or a Fine?
Speranta Dumitru
p. 34–49
RésuméEN :
It is often argued that development aid can and should compensate the restrictions on migration. Such compensation, Shachar has recently argued, should be levied as a tax on citizenship to further the global equality of opportunity. Since citizenship is essentially a ‘birthright lottery’, that is, a way of legalizing privileges obtained by birth, it would be fair to compensate the resulting gap in opportunities available to children born in rich versus poor countries by a ‘birthright privilege levy’. This article sets out a defence of three theses. The first states that equality of opportunity is incompatible with, and cannot be achieved in, segregated territories. The second posits that to believe that material equality compensates the injustice of restrictions on movement is to commit a ‘sedentarist mistake’. The third affirms that any citizenship levy, including the egalitarian and non-sedentarist formula I’m proposing, would be better understood as a penalty rather than a tax.
FR :
Il est souvent dit qu’une aide au développement peut et doit compenser les restrictions à l’immigration. Une telle compensation pourrait, selon un argument récent de Shachar, être prélevée comme un impôt sur la citoyenneté, payé par les pays riches, pour faire avancer l’égalité mondiale des chances. La citoyenneté étant fondamentalement une « loterie de la naissance », qui légalise des privilèges obtenus par naissance, il serait juste de compenser l’inégalité des chances qu’elle produit entre les enfants nés dans les pays riches et ceux nés dans les pays pauvres, par une taxe sur ces mêmes privilèges de naissance. Cet article défend trois thèses. Premièrement, l’égalité des chances est incompatible et ne peut pas être réalisée par une ségrégation territoriale. Deuxièmement, croire que l’égalité matérielle compense l’injustice des restrictions sur la mobilité, c’est commettre une « erreur sédentariste ». Troisièmement, toute charge sur la citoyenneté, y compris celle dont je propose une formule de calcul égalitariste et non sédentariste, serait mieux comprise comme une amende, plutôt qu’un impôt.
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The Use and Abuse of Jus Nexi
Noah Benjamin Novogrodsky
p. 50–62
RésuméEN :
This paper uses Shachar’s conception of jus nexi to explore three interrelated ideas. I first contend that Shachar’s analysis of the monetary value of birthright citizenship may be applied to temporary workers, lawful permanent residents and naturalized citizens as an exposé of inherited privilege in diverse communities and as a means of identifying which forms of membership and belonging are worth owning. Second, I use the idea of jus nexi to question which additional work relationships and identity networks that might qualify as genuine connections to a given state. Finally, I question whether an operationalized version of jus nexi, that is an alternative category of citizenship, would supplant or complement existing jus soli and jus sanguinis rules. Here, I seek to apply Shachar’s theoretical contributions to current political debates and warn that a genuine connection test is increasingly being misused to support a nativist agenda.
FR :
Cet article fait appel à la conception du jus nexi de Shachar pour explorer trois idées inter-reliées. Premièrement, nous soutenons que l’analyse de la valeur monétaire de la citoyenneté par droit de naissance de Shachar peut être appliquée aux travailleurs temporaires, aux résidents permanents qui ont un statut légal et aux citoyens naturalisés en tant qu’exposé des privilèges hérités dans des communautés différentes et comme un moyen d’identifier les formes d’appartenance et d’être ensemble qu’il vaut la peine de posséder. Deuxièmement, nous faisons appel à l’idée de jus nexi pour questionner les relations de travail additionnelles et les réseaux identitaires qui pourraient être reconnues en tant que liens authentiques à un État donné. Enfin, nous nous demandons si une version opérationnelle du jus nexi, entendons une catégorie alternative de citoyenneté, complèterait ou remplacerait les règles existantes du jus soli et du jus sanguinis. Ici, nous essayons d’appliquer les contributions théoriques de Shachar aux débats politiques actuels et nous formulons une mise en garde à l’effet qu’un test de lien authentique est de plus en plus (mal) employé pour supporter un agenda nativiste.
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Citizenship as Property, Not So Valuable
Peter J. Spiro
p. 63–70
RésuméEN :
With The Birthright Lottery: Citizenship and Global Inequality, Ayelet Shachar is the first major scholar to put the rich theory of property law theory to work in the realm of citizenship. Assessed on its own criteria, the book delivers on its promise to shake up our thinking on this question. Nevertheless, I argue in this paper that her account is not ultimately persuasive. First, Shachar takes for granted that citizenship is a valuable resource. I suggest that today legal residency is more highly valued that citizenship. Also her defense of the state and the social advantages of having stable citizenship regimes does nothing to confront its decline as the central organizing principle of political life. Last but not least, the modalities of a birthright citizenship levy calls into question the underlying analysis. For instance, the current proposal looks undistinguishable from foreign aid and it would demand much more robust institutional organs of global governance that now exist. The second prong of her argument works at the domestic level as it tackles the problem of under- and over-inclusiveness of birthright citizenship. Here too I have reservations highlighted by modes of implementation.
FR :
Avec The Birthright Lottery: Citizenship and Global Inequality, Ayelet Shachar est la première chercheuse de pointe qui utilise la riche théorie du droit de propriété dans le domaine de la citoyenneté. Jugé à l’aune de ses principes, le livre réussit à secouer nos idées reçues sur cette question. Dans cet article, je soutiens néanmoins que son explication n’est pas aussi convaincante qu’elle en a l’air. D’abord parce qu’elle tend à surévaluer la citoyenneté. La résidence permanente est aujourd’hui plus en demande et a pour cette raison plus de valeur que la citoyenneté. Ensuite, parce que la défense de l’État et des avantages sociaux des régimes de citoyenneté stables ne fait rien pour remédier au déclin de l’État en tant que principe organisateur de la vie politique. Enfin, parce que les modalités d’une taxe sur la transmission de la citoyenneté par droit de naissance ne permettent pas de la distinguer la taxe sur la citoyenneté de l’aide étrangère et que sa mise en oeuvre impliquerait des institutions de gouvernance globale plus robustes que celles qui existent actuellement. Le volet domestique de la proposition de Shachar, qui vise à corriger les problèmes de sous-inclusion et de sur-inclusion à l’aide du jus nexi, pose également quelques difficultés. J’émets des réserves qui portent sur la mise en oeuvre de cette proposition.
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Just Membership: Between Ideals and Harsh Realities
Ayelet Shachar
p. 71–88
RésuméEN :
In this paper, Ayelet Shachar begins by restating the main idea of her important book The Birthright Lottery : Citizenship and Global Inequality (Harvard, Harvard University Press, 2009) and then goes on to address in a constructive spirit the main themes raised by the five preceding comments written by scholars in the fields of law, philosophy and political science.
FR :
Dans cet article, Ayelet Shachar commence par rappeler l’idée centrale de son livre important The Birthright Lottery: Citizenship and Global Inequality (Harvard, Harvard University Press, 2009) avant de répondre de manière constructive aux cinq commentaires qui précèdent, rédigés par des experts dans les domaines du droit, de la philosophie et de la science politique.
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Le casse-tête de la citoyenneté par droit de naissance
Ayelet Shachar
p. 89–116
RésuméFR :
Cet article est la traduction française de l’introduction du livre d’Ayelet Shachar, «The Puzzle of Birthright Citizenship», avec la permission de l’éditeur, tirée de The Birthright Lottery : Citizenship and Global Inequality, Cambridge, Mass.: Harvard University Press, pp.1-18. © 2009 President and Fellows of Harvard College. Traduction de Martin Provencher.
EN :
This paper is the French translation of Ayelet Shachar’s introduction, «The Puzzle of Birthright Citizenship», digitally reproduced by permission of the publisher from The Birthright Lottery : Citizenship and Global Inequality, Cambridge, Mass.: Harvard University Press, pp.1-18. © 2009 by the President and Fellows of Harvard College. Translation by Martin Provencher.