Arborescences
Revue d'études françaises
Numéro 7, décembre 2017 La norme orale en français laurentien Sous la direction de Marie-Hélène Côté et Anne-José Villeneuve
Sommaire (6 articles)
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La norme orale en français laurentien : introduction
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Regard rétrospectif sur la norme du français québécois oral
Davy Bigot
p. 17–32
RésuméFR :
Depuis les années 1960, la question de la norme linguistique au Québec a été soulevée à de nombreuses reprises. En 1965, l’Office de la langue française soulignait l’importance d’aligner cette norme sur le français standard international. En 1977, l’Association québécoise des professeurs de français proposait que la norme du français québécois soit basée sur le français formel des Québécois. Cependant, aucune de ces deux propositions n’a réellement fait consensus.
Quelques années plus tard, certains affirmaient qu’il existait une norme québécoise qui n’était basée ni sur du français populaire québécois ni sur du français standard de France, mais que cette norme n’était encore décrite nulle part. Depuis, plusieurs études ont fourni des éléments descriptifs du français standard québécois oral.
Dans notre article, nous nous proposons de dresser un portrait exhaustif du français standard oral en usage au Québec. Dans un premier temps, nous reviendrons brièvement sur le débat entourant la question de la norme linguistique québécoise. Par la suite, nous fournirons une description de cette norme du point de vue phonique et du point de vue grammatical. Enfin, nous terminerons par une réflexion sur l’importance didactique de ce standard québécois dans l’enseignement du français au Québec.
EN :
Since the 1960s, the question of the linguistic norm in Quebec has been raised many times. In 1965, the Office de la langue française emphasized the importance of aligning this standard on international standard French. In 1977, the Association québécoise des professeurs de français proposed that the standard of Quebec French should be based on the formal French spoken by Quebecers. However, neither of these proposals has been consensual.
A few years later, it was claimed that there was a standard Quebec French based neither on the Québécois vernacular variety, nor on the standard variety spoken in France, but that this standard was yet to be described. Since then, several studies have provided descriptive elements of the standard oral French spoken in Quebec.
In this paper, we propose a comprehensive picture of the oral standard French used in Quebec. First, we briefly return to the debate surrounding the issue of Quebec's standard. Thereafter, we provide a description of its pronunciation and oral grammar. Finally, we conclude with a reflection on the educational importance of this standard in the teaching of French in Quebec.
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Le « bon usage du français au Québec » selon le Multidictionnaire de la langue française : le cas de la prononciation
Marie-Hélène Côté et Wim Remysen
p. 33–48
RésuméFR :
Depuis son apparition sur le marché des dictionnaires au Québec, le Multidictionnaire de la langue française a suscité un intérêt particulier auprès du grand public, qui l’a rapidement adopté comme ouvrage de référence. Ce dictionnaire n’est toutefois pas à l’abri de tout reproche et, malgré ses prétentions, il ne rend que partiellement compte de l’usage tel qu’il a cours au Québec. Dans cet article, nous porterons un regard critique sur le traitement que le Multi réserve à la prononciation québécoise qui, contrairement au lexique, n’a pas été analysée par les linguistes qui se sont intéressés à l’ouvrage. Comme c’est le cas pour le lexique, la prise en compte très partielle de l’usage québécois en matière de prononciation soulève la question de la représentativité de ce dictionnaire et, partant, de son rôle comme outil de référence.
EN :
Since its introduction to the dictionary market in Quebec, the Multidictionnaire de la langue française has been the object of great interest among the general public, which quickly adopted it as a reference tool. This dictionary, however, is not immune from criticism and, despite its claims, it only partially reflects the Quebec French usage. In this article, we will look critically at the way the Multi deals with Quebec French pronunciation which, unlike the lexicon, has not been analyzed by the linguists who have examined the work. As is the case for the lexicon, the very partial recognition of Quebec’s attested pronunciation raises the question of the representativeness of this dictionary and, consequently, of its role as a reference tool.
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Normes objectives et variation socio-stylistique : le français québécois parlé en contexte d’entrevues télévisées
Anne-José Villeneuve
p. 49–66
RésuméFR :
Les variétés linguistiques nord-américaines se distinguent depuis longtemps de leurs contreparties européennes. Pourtant, les « français d’ici » demeurent stigmatisés puisque souvent associés systématiquement au parler des classes populaires ou à des vernaculaires jugés trop éloignés de la norme fantasmée associée à l’écrit. Or, l’usage québécois oral n’est pas exempt de styles soutenus, dont l’essentiel reste à décrire : plusieurs études ont porté sur le vernaculaire, mais seules quelques-unes se sont penchées sur les usages spontanés en situations plus formelles. Le présent article propose la description d’une norme objective en décrivant l’usage linguistique des élites culturelles et politiques du Québec dans deux contextes d’entrevues télévisées sur les ondes de Radio-Canada. En plus d’étoffer les descriptions existantes du français québécois parlé, la comparaison des deux contextes permet de mesurer la variation stylistique chez les individus. Les résultats de l’analyse de deux variables susceptibles de distinguer l’oral soutenu de l’écrit—l’alternance des auxiliaires et la négation verbale—montrent que les styles observées en contexte d’entrevues télévisées se situent à mi-chemin entre les vernaculaires et le ‘standard’ écrit. En examinant d’une part des normes objectives émanant d’un groupe socio-culturellement valorisé et, d’autre part, la variation socio-stylistique en français québécois du 21e siècle, la présente contribution éclaire la sociolinguistique française et ses applications pédagogiques éventuelles en contexte canadien.
EN :
North American linguistic varieties have long differed from their European counterparts. Yet North American French varieties are still stigmatized since they are often associated systematically with working classes speech or with vernaculars considered too far removed from the fantasized norm associated with writing. However, spoken Québec French is not devoid of careful styles, most of which have yet to be described: several studies have focused on the vernacular, but only a few have looked at spontaneous speech in more formal settings. This article proposes the description of an objective norm by describing the linguistic usage of Québec's cultural and political elites in two Radio-Canada televised interview settings. In addition to expanding the existing descriptions of spoken Québec French, the comparison of the two settings allows the measurement of stylistic variation in individuals. Results from the analysis of two variables that could help disentangle careful speech from written French—auxiliary alternation and verbal negation—show that the styles observed in televised interview settings are halfway between the vernaculars and the written ‘standard’. By examining, on the one hand, objective norms emanating from a socio-culturally privileged group and, on the other hand, socio-stylistic variation in 21st century Québec French, this contribution sheds light on French sociolinguistics and on future pedagogical applications in the Canadian context.
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Variation sociophonétique dialectale et stylistique : quelle est la langue cible en français langue seconde à Montréal ?
Monelle Guertin
p. 67–89
RésuméFR :
La variété de français parlée dans l’Hexagone a été par le passé considérée comme un modèle de « bon français », tandis que la variété québécoise s’est trouvée dépeinte de façon moins prestigieuse. En enseignement des langues secondes, ces opinions ont un impact sur les choix et les perceptions des apprenants envers de la langue cible. Plusieurs chercheurs ont étudié ces perceptions dans une comparaison France–Québec. Cette étude propose de vérifier si la variation stylistique propre à chaque variété dialectale affecte les réactions envers le français de France et celui du Québec de la même manière que les variétés le font, pour des apprenants de français langue seconde à Montréal. Selon la technique du locuteur masqué, les participants ont écouté et réagi à des locutrices natives du français parisien et du français québécois produisant exactement le même contenu linguistique dans deux situations différentes, formelle et informelle. Les résultats montrent que la variation stylistique a eu une importance considérable dans les perceptions et les choix des participants. Parallèlement, les données révèlent un amalgame réalisé entre, d'une part, langue formelle et français européen et, d’autre part, langue informelle et français québécois.
EN :
The variety of French spoken in Continental France has previously been considered the model for « le bon français », while the variety spoken in Québec has been depicted as less prestigious. In second language teaching, these views have an impact on learners’ choices and perceptions of the target language. Many researchers have investigated these perceptions through a France–Québec comparison. Using a matched-guise technique, this study investigates whether stylistic variation within a given dialect affects the reactions to Continental French and Québec French in the same way that varieties do, for learners of French as a second language in Montréal. The participants were asked to listen and react to native speakers of Paris and Montréal French varieties producing exactly the same linguistic content in two different situations, formal and informal. Results show that stylistic variation had a considerable impact on the participants’ perceptions and choices. Meanwhile, the data also reveal an amalgam made between, firstly, formal language and European French and, secondly, colloquial language and Québec French.
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I’veulent-tu parler comme nous-autres ? Opinions d’apprenants sur la forme interrogative totale en français laurentien
Suzie Beaulieu, Leif French et Samuel Gagnon
p. 90–105
RésuméFR :
D’une part, les recherches s’intéressant aux attitudes langagières d’apprenants de français langue seconde au Québec montrent que ces derniers entretiennent généralement des perceptions négatives à l’égard du français québécois. D’autre part, les apprenants de français qui ont reçu un enseignement explicite sur les phénomènes de variation propres à toutes les variétés de français semblent, eux, développer une appréciation pour la diversité des usages de la langue française. Cependant, le lien entre l’enseignement explicite de traits sociolinguistiques appartenant uniquement au français laurentien et les attitudes linguistiques ainsi développées chez les apprenants n’a jamais encore été observé. Pour combler cette lacune, les perceptions de trois cohortes d’apprenants de français (N=46), inscrits dans un cours universitaire avancé de français portant sur la variation du français, ont été sondées. Après avoir reçu un enseignement explicite sur les différentes variantes pouvant former l’interrogation totale (inversion, est-ce que, intonation montante et intonation montante suivie de la particule –tu), les participants ont répondu à un court questionnaire à questions ouvertes explorant leurs opinions quant à l’interrogation montante suivie de –tu. L’analyse de contenu effectuée sur les données qualitatives a démontré que suite à l’enseignement explicite, la majorité des participants (43/46) avaient une perception positive de cette forme. Cependant, les attitudes positives envers cette forme n’amènent pas forcément tous les apprenants à vouloir adopter cet usage. Diverses raisons sont évoquées pour intégrer ou non cet usage à leur répertoire sociolinguistique.
EN :
Research on French second language learners’ attitude towards the language has shown that they generally perceive Quebec French in a negative light. At the same time, research has also shown that French learners who receive explicit instruction targeting aspects of language variation across different varieties of French actually come to appreciate the diversity of French language use. However, the connection between the explicit instruction of sociolinguistic traits unique to Laurentian French and the linguistic attitudes resulting from this instruction has yet to be examined. To address this shortcoming, surveyed were three groups of French learners (N=46) enrolled in an advanced university course on French language variation. After receiving explicit instruction on specific variants that can express the interrogative in French (e.g., inversion, est-ce que, rising intonation and rising intonation followed by a particle), learners responded to a series of open-ended questions designed to solicit their opinion about the use of rising intonation followed by the particle tu. Content analyses of opinions revealed that following explicit instruction, the majority of learners (43/46) reported a positive perception about the use of this form. However, positive attitudes towards this form did not necessarily result in all learners wanting to use it in their everyday speech. Discussed are some of the different reasons learners evoked as to as why the form was or was not integrated into their own sociolinguistic repertoire.