Résumés
Résumé
Ce texte analyse l’impact attendu sur l’économie québécoise, et plus particulièrement son marché du travail, du retrait massif attendu de la vie active de la génération des baby-boomers. Nous montrons que le vieillissement de la population québécoise qui accompagnera ce phénomène démographique fera augmenter de façon significative le coût des soins de santé. Dans le même temps, l’arrivée de plus petites cohortes sur le marché du travail limitera notre capacité à produire des biens et services. En conséquence, même si l’on forme des attentes très optimistes par rapport à l’évolution économique, le taux de croissance du niveau de vie au Québec restera largement inférieur à 3 % au cours des 20 prochaines années.
Abstract
In this paper, we analyze the impact on Quebec’s economy, and more specifically on Quebec’s labor market, from the massive expected retirement of the Baby-boomers generation. We show that as the result of the increased average age of the population, health care costs will significantly increase, while, in the meantime, the arrival of much smaller cohorts on the labor market will limit our ability to produce goods and services. As a consequence, even if we form the most optimistic forecast on the evolution of Quebec’s economic environment, real growth of per-capita income in Quebec will be less than 3% yearly over the next 20 years.
Corps de l’article
Introduction
Deux réalités caractérisent la génération des baby-boomers : ils sont nombreux et ils ont peu d’enfants. Ces deux réalités sont probablement plus frappantes au Québec que n’importe ou ailleurs dans le monde industrialisé. Au cours des 25 prochaines années, ces baby-boomers vont prendre leur retraite de la vie active dans une proportion inégalée jusqu’à ce jour. Après avoir pris cette retraite, ils vivront plus longtemps qu’aucune génération avant eux et ils seront remplacés sur le marché du travail par un nombre de plus en plus limité de nouveaux actifs.
Cette question du vieillissement de la population a suscité à ce jour de nombreux débats. Catastrophe annoncée pour les uns (voyez par exemple l’étude de la Banque Mondiale, 1994), ou nouvel Eden économique pour d’autres, paradis dans lequel des millions de jeunes retraités, riches en épargne et loisirs vont se mettre à consommer les fruits d’une vie de travail (Mérette, 2002), le sujet n’a pas, à ce jour, fait l’unanimité.
L’objectif de ce texte est triple :
Premièrement, je veux montrer que l’expérience démographique que va connaître le Québec est unique par rapport aux autres pays occidentaux, et que donc la solution à ce problème devra nécessairement être Made in Québec.
Deuxièmement, je veux montrer que le vieillissement de la population aura des conséquences microéconomiques, particulièrement sur nos finances publiques. Bien sûr, ces conséquences sont tellement multiples qu’il est impossible à ce jour d’en dresser l’inventaire, et par conséquent d’en évaluer l’effet net. Cependant, l’objectif de ce texte est de montrer que le vieillissement de la population conduira à de sérieuses réallocations de ressources.
Troisièmement, cet article veut montrer que le véritable enjeu économique du phénomène du vieillissement de la population n’en sera pas un de réallocation de ressources, mais qu’il résidera bien plus fondamentalement dans notre capacité à produire des biens et services et dans notre capacité à assurer une croissance du niveau de vie des Québécois.
1. Une expérience unique
Une erreur courante et généralement commise lorsque l’on aborde le problème du vieillissement de la population est celle de penser que le phénomène de vieillissement qui frappe le Québec a déjà frappé d’autres pays ou encore que, dans une certaine mesure, tous les pays industrialisés sont, par rapport à ce phénomène, dans le même bateau.
La population des pays d’Europe de l’Ouest et de Scandinavie est plus « vieille » que celle du Québec, et ce depuis longtemps. Cette situation est, cependant, particulière et résulte notamment des bas taux de natalité que cette région a connu tout au long des années trente – conséquence de la grande dépression – et du début des années quarante – conséquence de la Deuxième Guerre mondiale. À cela s’ajoutent les pertes de vies humaines considérables, particulièrement concentrées dans un groupe de population plus jeune. Ensemble, ces deux phénomènes ont contribué à transformer les pyramides des âges de ces régions en sabliers et à augmenter plus tôt qu’en Amérique du Nord le poids relatif de la population âgée dans la population totale.
Ce qui attend le Québec est très différent. Le graphique 1 illustre l’évolution de la part de la population âgée dans la population totale dans différents pays industrialisés. Elle indique la date à laquelle, dans chacun de ces pays, la population âgée a dépassé le niveau de 12 % de la population totale et la date à laquelle elle dépassera le niveau de 24 % de la population totale. Elle montre clairement que ce phénomène de vieillissement a commencé en Europe bien avant le Québec. Par contre, tous les pays européens comme le Québec atteindront le point où la population âgée représentera un quart de la population à peu près en même temps, soit entre 2020 et 2025. En conséquence, le processus par lequel la population âgée passera d’un niveau important (12 %) à considérable (24 %) prendra plus de 60 ans partout ailleurs dans le monde, alors qu’au Québec il ne prendra que 30 ans. Même le reste du Canada semble se retrouver dans une situation plus enviable que celle du Québec de ce point de vue.
Ce phénomène accéléré de vieillissement, résultat de la chute dramatique des taux de natalité et de l’augmentation plus rapide de l’espérance de vie, est unique en Occident. Seul le Japon semble avoir à faire face à un problème démographique pire et si la morosité économique que connaît aujourd’hui ce pays, montré en exemple il n’y a pas si longtemps, est un indicateur de ce qui va arriver au Québec, on est en droit d’être inquiet.
2. Un phénomène qui impliquera des réallocations de ressources majeures
Une autre erreur courante lorsqu’on analyse cette question est celle de penser que parce que les effets de ce vieillissement seront multiples, et dans une certaine mesure souvent opposés, ils devront nécessairement s’annuler. Les baby-boomers prendront leur retraite relativement riches et la désépargne qui s’en suivra compensera dans une certaine mesure les baisses de revenus causées par ces retraites.
Mon propos ici n’est pas de quantifier toutes les conséquences financières et microéconomiques de ce phénomène de vieillissement. Sans tenter d’en dégager un impact net, je veux simplement indiquer que le vieillissement de la population aura des conséquences sérieuses sur les finances publiques et impliquera des réorientations de ressources.
Il ne semble pas abusif de penser au budget du gouvernement du Québec comme étant constitué de deux dépenses majeures : l’éducation et la santé.
Les perspectives d’économies en éducation découlant d’une baisse de la population en âge scolaire sont limitées. Comme le montre le graphique 2, la plus grande partie de la baisse de natalité a déjà été absorbée par le système scolaire et les conséquences de la seconde baisse des naissances a déjà atteint le milieu de l’enseignement primaire. De plus cette deuxième vague sera d’une ampleur bien moindre que celle qu’a connue notre système scolaire dans le courant des années soixante-dix. Il serait donc présomptueux de tabler sur cette baisse de la population en âge scolaire comme source d’économie substantielle pour nos finances publiques.
La réponse à la question de l’impact du vieillissement de la population sur les coûts du système de santé est moins immédiate et requiert une réflexion plus approfondie.
Un regard rétrospectif sur la croissance rapide des coûts des soins de santé dans les pays industrialisés au cours de ces 25 dernières années permet de craindre le pire. En effet, il est difficile d’argumenter que cette croissance ait été orthogonale à l’augmentation de l’espérance de vie et du nombre de personnes âgées. S’il est clair qu’une bonne partie de l’augmentation des coûts du système de santé au cours de ces dernières années est due à la technologie, une part est sans aucun doute liée au vieillissement de la population et cette tendance risque de s’accélérer.
Une évidence des mieux fondées en matière de coûts de santé est le fait qu’une très grande partie des coûts qu’une personne va imposer au système au cours de sa vie aura lieu durant la dernière année de sa vie, et même plus précisément au cours du dernier mois de sa vie. De nombreuses études indiquent qu’entre 25 et 35 % des dépenses de santé d’une personne ont lieu durant la dernière année de sa vie. Malheureusement, peu de personnes meurent paisiblement dans leur lit ou subitement terrassés par une crise cardiaque dans la rue. Mourir est souvent long, pénible et coûteux pour le système de santé. Cette tendance est stable à travers le temps, et orthogonale aux changements technologiques.
Les coûts de notre système de santé sont dès lors très fortement influencés par le nombre de personnes qui décèdent chaque année et ce nombre va quasiment doubler au Québec au cours des 25 prochaines années.
En utilisant les coûts moyens des soins de santé per capita par groupe d’âges de 1998, on peut faire une simple projection de ce à quoi ressembleront les coûts de soins de santé per capita en 2025, en supposant qu’il n’y ait aucun changement technologique, ni aucun changement dans la pratique médicale.
Comme le montre le graphique 4, les coûts per capita varient très fortement en fonction du groupe d’âges et cette variation de coûts entre groupes d’âges est directement reliée au taux de mortalité de chacun de ces groupes. Deux légères divergences sont à souligner dans cette tendance lourde. La naissance, tout comme la mort, est coûteuse. Les soins obligatoires pour tous les nouveau-nés combinés aux coûts associés aux complications périnatales rendent la première année de vie relativement plus coûteuse en termes de soins de santé. Également, il semble que les coûts associés avec une mort qui survient après l’âge de 90 ans soient plus faibles. Cependant, ce graphique montre une tendance à une très forte corrélation entre mortalité et coûts des soins de santé.
Le tableau 1 permet de projeter l’évolution des coûts des soins des santé en fonction des changements démographiques. En moyenne, on dépensait 1 798 $ par personne en soins de santé au Québec en 1998. Si l’on avait dépensé les mêmes montants par groupe d’âges en 1975, les seuls changements dans la structure de la population auraient fait en sorte que les dépenses moyennes par habitant en 1975 n’auraient été que de 1 442 $, en dollars de 1998. En fait, en 1975, les dépenses étaient de 1 135 $ par habitants en dollars de 1998. En supposant qu’il n’y ait pas eu de réorganisations dans la distribution des soins de santé entre groupes d’âges, la croissance réelle des coûts de soins de santé par habitant (58,4 %) a été causée presque également par l’augmentation des coûts et la technologie et par le vieillissement de la population.
Si l’on applique cette méthodologie de façon prospective, on constate que les coûts des soins de santé par personne augmenteront de 38 %, pour s’établir à 2 485 $ par personne dans 25 ans, du seul fait des changements démographiques, indépendamment de tout changement technologique.
Il est difficile de penser que sauf changement majeur dans nos pratiques de soins de santé, les évolutions démographiques qui nous attendent n’auront pas d’effet sur les dépenses du gouvernement du Québec. Il y aura évidemment d’autres impacts, systèmes de pension, etc. Mon propos n’est cependant pas de faire une liste exhaustive de ces effets mais simplement de déterminer dans quelle mesure la société québécoise pourra assumer ce surcroît de charge. En bout de ligne, la capacité du Québec à payer les services – et sans aucun doute les services additionnels requis par le vieillissement de sa population – dépendra de sa production de biens et services.
3. Un phénomène qui va affecter d’abord notre capacité à produire
Dans ce contexte, l’évolution du marché du travail au cours du prochain quart de siècle est cruciale. La capacité d’une économie à générer des revenus dépend du nombre de personnes en emploi et des salaires que ces personnes pourront obtenir. Cette capacité à obtenir des emplois dépend elle-même de la santé de l’économie, de l’évolution de la productivité et des préférences des travailleurs. Dans cette partie, je propose une façon systématique d’analyser les éléments qui, au travers de l’évolution du marché du travail, affecteront la capacité des Québécois à assurer leur croissance économique.
3.1 Méthodologie
J’utilise ici une méthodologie développée dans une étude antérieure (voir Fortin, Crémieux et Van Audenrode, 1994). Cette méthodologie est basée sur une décomposition de l’évolution du revenu réel par habitant.
La meilleure mesure du niveau de vie d’une population, et donc de sa capacité à assumer le poids des services qu’elle désire s’offrir, est sans conteste le revenu national par habitant. De nombreux facteurs affectent l’évolution de ce revenu par habitant. Mathématiquement, on peut le décomposer en cinq éléments de la façon suivante :
Cette équation définit simplement le revenu réel par habitant comme étant le produit intérieur brut (en dollars courants), ou encore le revenu national divisé par la population totale et le prix d’achat moyen des biens et services (ici représenté par l’indice du prix de la demande finale intérieure). Le produit intérieur brut en dollars courants peut à son tour être décomposé en produit intérieur brut réel multiplié par le prix de vente moyen des biens et services produits.
Le revenu réel par habitant peut être décomposé plus en détail comme étant :
Ces cinq ratios ont chacun une explication économique. Nous appellerons le ratio la base démographique, c’est-à-dire la proportion de la population totale comprise dans les groupes d’âges habituellement actifs (généralement les 15 à 64 ans). Le ratio est généralement connu comme étant le taux d’activité, c’est-à-dire la proportion de la population en âge de travail qui est active (soit en emploi, soit qui se cherche activement un emploi). Le ratio est le taux d’emploi, c’est-à-dire la proportion d’actifs en emploi. mesure la productivité du travail, c’est-à-dire le volume de biens et services produit par chaque personne employée. Finalement, mesure l’écart entre le prix des biens et services produits et les biens et services que nous achetons. Ce ratio est connu sous le nom de termes d’échange.
C’est le produit de ces cinq ratios qui va déterminer l’évolution de notre niveau de vie et donc de notre capacité à payer pour les services que nous désirons obtenir en général, et de nos pouvoirs publics en particulier. Nous analyserons donc tour à tour chacun de ces cinq éléments.
4. Le passé
Avant de regarder les perspectives d’évolution de ces cinq indicateurs, il est intéressant de regarder comment chacun d’entre eux a contribué à la croissance de notre niveau de vie au cours de ces dernières années.
Le tableau 2 présente ces résultats pour trois périodes différentes. Ce tableau montre les « tendances lourdes » de l’évolution de l’économie québécoise. Le rythme de croissance du niveau de vie s’est ralenti de façon très sensible au cours de années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Depuis quelques années, cependant, un légère amélioration semble s’être concrétisée. Après être tombé de 3,8 %, dans les années soixante à 2,1 % dans les années quatre-vingt, le rythme de croissance du niveau de vie s’est ressaisi, remontant à 2,5 %.
Il est tentant d’expliquer cette évolution de notre niveau de vie en invoquant les changements économiques que nous avons connus au cours de ces 30 ans. Il faut cependant noter qu’une très grande partie de cette évolution n’est pas expliquée par les facteurs économiques de la décomposition, mais bien par les facteurs démographiques. Ensemble l’évolution de la base démographique et du taux d’activité jouent un rôle crucial dans cette tendance.
L’autre grand facteur explicatif de cette tendance lourde est le ralentissement au cours des 30 dernières années du rythme de croissance de la productivité. Celui-ci tombe d’un rythme annuel moyen de 2,2 % dans les années soixante et soixante-dix à seulement 1,1 % durant les années quatre-vingt et ne semble pas vouloir reprendre.
Au cours de ces dernières années, les facteurs démographiques, socio-démographiques et économiques se sont combinés pour expliquer le très fort ralentissement du rythme de croissance de notre bien-être. Le seul élément positif dans ce tableau relativement noir est le retournement au cours des cinq dernières années de l’impact du taux d’emploi. Depuis près de 30 ans, la tendance à l’augmentation du chômage frictionnel imposait un frein majeur à la croissance du niveau de vie. Cette tendance semble finalement s’être renversée au cours des cinq dernières années.
De plus, ces résultats montrent combien l’impact des variables démographiques sur la croissance économique est lié à la rapidité avec laquelle ces variables démographiques évoluent dans le temps. Dans un contexte où, comme nous l’avons noté au début de ce texte, la population du Québec va vieillir plus rapidement que n’importe où ailleurs dans les pays industrialisés, cette constatation est particulièrement préoccupante.
5. Le présent
Dans notre analyse de l’évolution potentielle de l’économie et du marché du travail québécois, il est bien évidemment important de garder à l’esprit le rôle qu’a joué chacun des éléments identifiés par l’équation 2. Dans cette section, nous allons passer en revue chacun des éléments contribuant à la croissance du revenu par habitant.
5.1 La base démographique
Il s’agit d’une question qui sort de mon domaine de compétence. Tout semble indiquer, cependant, que le ralentissement dans la croissance de la base démographique va très certainement se continuer au cours des prochaines décennies, jusqu’au point où la base démographique va diminuer. Le tableau 3 résume simplement l’une des projections de l’évolution de la population du Québec faite par Statistique Canada.
Il semble clair en effet que d’ici 2020, la base démographique québécoise va diminuer. Cet effet en soi va placer une pression sensible à la baisse sur la croissance de notre niveau de vie au cours de ces prochaines années.
5.2 Le taux d’activité
L’étape suivante est de déterminer le nombre de Québécoises et Québécois qui désireront travailler au cours de ces prochaines années. Pour comprendre comment le taux d’activité agrégé pourrait évoluer au cours des 20 prochaines années, il est important de regarder son évolution récente.
Le taux d’activité est une mesure qui doit, pour des raisons évidentes, être analysée séparément pour les hommes et les femmes. Le graphique 5 montre que l’évolution de ces 2 taux au cours des 25 dernières années a été radicalement différente. Le taux de participation masculin semble indiquer une tendance soutenue à la baisse, passant d’un maximum de 77 % à la fin des années soixante-dix, à un niveau à peine supérieur à 70 % à la fin des années quatre-vingt-dix. En plus, le taux d’activité masculin semble montrer un certain niveau de sensibilité au cycle économique, puisqu’il baisse plus rapidement durant les récessions et remonte légèrement dans les périodes de reprise.
Le taux d’activité féminin est passé en 25 ans de 41 % à plus de 56 %. Sa forte tendance à la hausse cache sa sensibilité aux cycles économiques. Ainsi, il ne baisse que de 1 % environ lors des récessions comparé à plus de 2 % pour celui des hommes.
Cette évolution du taux d’activité agrégé s’explique cependant comme étant la somme d’une série de tendances et phénomènes très différents selon les cohortes d’âges.
5.2.1 Les 15-24 ans
Le graphique 6 nous montre l’évolution du taux d’activité des jeunes. Plusieurs phénomènes apparaissent clairement. Tout d’abord, il devient évident que chez les plus jeunes, les taux d’activité entre hommes et femmes convergent très rapidement. Aujourd’hui, il est à 65 % pour les hommes et près de 59 % pour les femmes.
Deuxièmement, il et évident que le taux d’activité des jeunes est très cyclique. Pendant les périodes de récession, les jeunes restent plus longtemps à l’école et ce phénomène est très apparent dans les chiffres.
L’évolution du taux d’activité des jeunes au cours des 20 prochaines années est difficile à prédire. D’une part, il semble que l’amélioration de la conjoncture devrait favoriser sa croissance. Cependant, l’allongement des études et le plus grand accès à l’enseignement supérieur ne devraient pas laisser beaucoup de place à une augmentation sensible.
5.2.2 Les 25-54 ans
Les 25-54 constituent le groupe de personnes que l’on peut considérer comme ayant le plus fort attachement au marché du travail. Ils sont également le groupe le plus important numériquement et il n’est pas surprenant que les grandes tendances observées au niveau du taux agrégé se reflètent ici (voir graphique 7).
Les hommes ont connu une baisse sensible de leur taux d’activité, baisse qui semble s’accélérer lors des périodes de récession. De leur côté, les femmes ont vu une augmentation tendancielle de leur taux de participation supérieure à 1,2 % par an. En dépit de cette hausse quasi continue depuis 25 ans, leur taux de participation est toujours inférieur à 80 %.
Au cours des prochaines années, il est difficile d’imaginer que le taux d’activité des hommes mûrs puisse baisser beaucoup plus, à moins d’une augmentation sensible du niveau de richesse collective ou d’une augmentation très sensible du taux de participation féminin. Une prévision conservatrice serait de penser que les deux taux – féminin et masculin – vont se rejoindre au cours des 15 prochaines années à un niveau identique proche de 90 %.
5.2.3 Les 55 ans et plus
Le groupe des plus de 55 ans est bien évidemment le plus important dans le contexte de vieillissement de la population. Il est malheureusement également le plus difficile à prédire (voir graphique 8).
Au cours des 25 dernières années, le taux d’activité des hommes plus âgés a chuté d’un niveau largement supérieur à 45 % à un niveau proche de 30 %. Au cours de la même période, le niveau du taux d’activité des femmes est resté relativement stable à un niveau très faible (autour de 15 %), avec de très fortes fluctuations autour de ce niveau.
La question de l’évolution future de ces taux est cruciale dans un contexte de vieillissement de la population. Au cours des 20 prochaines années, ce groupe d’âges va passer de 25 % de la population de 15 ans et plus à près de 40 % pour les hommes, et de 29 à 44 % pour les femmes. L’évolution du taux de participation de ce groupe d’âges est donc fondamentale pour prédire l’évolution du taux agrégé.
La première question est de savoir si l’on peut raisonnablement s’attendre à voir le taux de participation des hommes de plus de 55 ans remonter. Ce taux est particulièrement faible et a considérablement fléchi au cours des dernières années. Peut-on raisonnablement s’attendre à voir cette tendance se renverser?
Plusieurs facteurs sont à prendre en considération pour répondre à cette question. D’une part, il semble évident que les goûts et préférences de ce groupe ont évolué au cours des dernières années. Il semble clair que la notion de retraite anticipée s’est solidement ancrée dans l’esprit de nombreuses personnes et est devenue la norme pour beaucoup de catégories de travailleurs. Un renversement de cette tendance serait probablement lent et mettrait de nombreuses années à faire sentir ses effets.
Une façon plus orthodoxe de voir ce problème est de considérer que deux effets influencent toute décision de retraite : un effet de prix et un effet de revenu. L’effet prix naît du coût relatif de la retraite par rapport au travail. L’effet prix nous indique que plus le coût d’arrêter de travailler pour profiter de sa retraite est élevé, toutes autres choses égales, moins le travailleur sera susceptible de faire ce choix. Au cours des dernières années, il semble que la tendance des entreprises à offrir des plans de retraite anticipée s’est fortement réduite. Les entreprises, dans un contexte de reprise économique, ont moins besoin de recourir aux mises à pied massives. De plus, elles ont certainement compris que cette pratique était coûteuse et les privait bien souvent des meilleurs de leurs employés d’expérience. Cette réduction dans l’offre de plans de retraite anticipée devrait en rendre l’accès plus malaisé. L’amélioration récente dans le marché du travail, si elle se traduisait par des hausses de salaire, devrait elle aussi rendre le choix de la retraite anticipée plus coûteux.
L’effet revenu semble cependant peser dans l’autre direction. Les loisirs sont un bien normal et tendent même à devenir un bien de luxe pour les personnes plus âgées. Plus elles seront riches, plus ces personnes auront tendance à consommer beaucoup de loisir et donc à recourir à la retraite anticipée. Or, il semble évident que la génération des baby-boomers a accumulé des avoirs considérables dans des fonds de pension privés, dans des REER ou dans de l’épargne privée. À simple titre d’illustration, le graphique 9 nous monte l’évolution des avoirs accumulés au Canada dans des REER. En 20 ans, ces actifs ont évolué de montants quasi négligeables à plus de 200 milliards de dollars de 1992. Il est clair que la génération qui arrive à l’âge de la retraite est plus riche que n’importe quelle autre cohorte avant elle.
Toutes ces considérations semblent indiquer que le taux de participation des hommes dans cette catégorie d’âge n’évoluera pas de façon dramatique au cours des prochaines années. Le seul élément qui puisse affecter sensiblement ce taux est le « rajeunissement » de cette catégorie d’âges. En effet, parmi les 55 ans et plus, le taux de participation chute très rapidement avec l’âge et l’arrivée massive des baby-boomers dans ce groupe va le rajeunir en moyenne.
Toutes ces considérations peuvent être répétées pour les femmes. Un élément supplémentaire vient toutefois compliquer cette analyse. En effet, les femmes qui entreront dans ce groupe d’âges au cours des prochaines années proviendront de cohortes ayant participé au marché du travail dans une proportion beaucoup plus large que celles qui ont précédé. Ce phénomène pourrait jouer en faveur d’une augmentation du taux de participation des femmes.
Le tableau 4 présente l’évolution du taux d’activité agrégé sous différents scénarios pour les 55 ans et plus. Pour les groupes d’âges inférieurs, nous allons supposer que les écarts entre hommes et femmes auront disparu et s’établiront à 65 % pour les 15-24 ans et à 90 % pour les 25-54 ans.
Dans notre première hypothèse, les taux d’activité des deux groupes resteront constants à leur niveau actuel. Dans notre deuxième hypothèse, les taux s’ajusteront pour refléter le rajeunissement de ce sous-groupe. Cela implique que le taux passerait à 33,6 % pour les hommes et à 17,4 % pour les femmes. Finalement, nous supposerons que le taux de participation féminin passera à 20 % en conséquence de l’effet de cohorte. Dans tous les cas, on assisterait à une baisse sensible du taux de participation masculin, alors que le taux féminin au mieux se maintiendrait, au pire baisserait d’un point.
5.3 Le taux d’emploi
Le taux d’emploi se comprend et s’analyse plus facilement comme étant un moins le taux de chômage.
Au cours des 30 dernières années, le taux de chômage au Québec, comme dans la plupart des pays industrialisés, a montré une tendance structurelle très forte à la hausse. Bien sûr, le taux de chômage exhibe également une forte composante cyclique. Mais les améliorations constatées durant les périodes de croissance étaient à peine suffisantes pour effacer les traces des récessions qui avaient précédé. C’est un phénomène que plusieurs auteurs ont appelé « effet d’hystérèse » ou « effet de cliquet ».
Le taux de chômage va-t-il continuer à baisser au cours des prochaines années? Nous savons qu’il existe une borne inférieure au taux de chômage : ce qu’on appelle le chômage structurel, ou encore le NAIRU (Non accelerating inflation rate of unemployment). Le NAIRU correspond au niveau de chômage en-dessous duquel une économie, même en période d’expansion, ne peut descendre sans courir le risque d’inflation. Pendant longtemps, il a été clair que la Banque du Canada considérait qu’un taux de chômage moyen en dessous de 7,5 % au Canada constituait un risque d’inflation. Or, un taux de chômage moyen de 8 % au Canada correspond historiquement à un taux supérieur à 9 % au Québec. Trois questions se posent donc pour prévoir l’évolution du taux de chômage au Québec.
5.3.1 Quel est le niveau du NAIRU au Canada aujourd’hui?
Il est évident qu’au cours des dernières années, le NAIRU a baissé au Canada, particulièrement à la suite de la réforme des programmes sociaux. Pierre Fortin (1996) estime que la seule modification de l’assurance chômage de 1994 pourrait avoir ramené le NAIRU du Canada à 6,5 %. À cela, il faut ajouter la réforme de 1996 (assurance emploi) et les autres changements des programmes d’aide sociale entrepris par les provinces canadiennes.
Aujourd’hui, avec un système de protection sociale marginalement supérieur à la moyenne des États-Unis et une flexibilité du marché du travail comparable, il est difficile d’argumenter que le NAIRU canadien est nettement supérieur à celui des États-Unis. Or, nos voisins du Sud flirtent avec 5 % de chômage depuis maintenant plus de cinq ans, sans connaître de reprise de l’inflation.
5.3.2 Qu’adviendra-t-il de l’écart entre le Québec et le Canada?
Historiquement, le taux de chômage québécois a toujours été supérieur à celui du Canada, et cet écart a atteint près de deux points au début des années quatre-vingt-dix. Cet écart est dû à une série de causes, parmi lesquelles le climat et la dépendance aux activités saisonnières tiennent une place non négligeable. Cependant, l’économie québécoise s’est diversifiée et le système d’aide sociale a été réformé en profondeur. Il est difficile d’argumenter que l’écart entre le Québec et le Canada devrait s’agrandir au cours des prochaines années. Il devrait en fait diminuer, car il est raisonnable de penser que cet effet d’écart a une composante de proportionnalité.
5.3.3 Le Québec atteindra-t-il son NAIRU?
Soyons optimistes et supposons que le NAIRU du Québec s’établira, au cours des prochaines années autour de 6,5 %. La question suivante est de savoir si l’économie québécoise sera capable d’atteindre ce niveau? Sans nier qu’il puisse y avoir des variations cycliques dans la performance future du marché du travail, variations qui sont difficiles à prévoir, on peut penser que la tendance devrait être d’amener l’économie québécoise au NAIRU. Plusieurs raisons peuvent justifier cet optimisme.
La première est liée au marché du travail directement. Comme nous venons de le voir, la main-d’oeuvre risque de devenir relativement rare au Québec. Dans un tel contexte, il est difficile d’imaginer que l’économie puisse se permettre un tel gaspillage de ressources rares.
La deuxième raison est financière. Le Québec et le Canada semblent avoir mis de l’ordre définitivement dans leurs finances publiques. Cette amélioration réduit sensiblement les risques de crise financière et d’un resserrement des conditions monétaires pour des causes autres que celles liées à l’économie réelle.
Finalement, la troisième cause est liée à l’état de santé de l’économie québécoise. Nous y reviendrons plus en détails dans la section suivante, mais tout laisse croire que le Québec devrait raisonnablement performer dans les prochaines années.
5.4 La productivité
Une des sources du ralentissement de la croissance que l’on a connu a certainement été le fléchissement très sensible du rythme de croissance de la productivité, phénomène illustré sur le graphique 11. Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, la tendance semble s’être légèrement renversée, particulièrement durant la dernière année. On est loin cependant de revenir aux taux de croissance des années soixante-dix, et cette réalité dans un contexte d’informatisation et d’arrivée massive des nouvelles technologies sur le marché du travail a été un des grands puzzles du début des années quatre-vingt-dix.
Un peu d’espoir semble cependant exister. Le graphique 12 nous montre l’évolution récente de la productivité aux États-Unis. Il semble que depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, les États-Unis ont fini par connaître et profiter de ces hausses de productivité que les économistes attendaient depuis près de 20 ans. En fait, depuis 1996, la productivité américaine semble avoir retrouvé la vitesse de croisière qu’elle connaissait pendant les années soixante. Le graphique indique également que le Canada n’a pas encore retrouvé ce rythme de croissance.
Les éléments qui peuvent expliquer cette divergence sont :
La moins grande implication de l’économie du Canada dans le secteur des nouvelles technologies a fait en sorte que le Canada n’a pu bénéficier autant que les États-Unis de la croissance extraordinaire de ce secteur.
La stagnation économique au Canada a eu pour conséquence de limiter considérablement les investissements des entreprises en machines et matériel.
Le taux de chômage élevé au Canada a fait en sorte que les employeurs ont été moins incités à substituer du capital au travail
Cette situation semble avoir évolué favorablement récemment, particulièrement au Québec :
Le Québec a investi massivement dans le développement des nouvelles technologies.
Les investissements se sont redressés partout à travers le Canada à la faveur de la reprise économique des dernières années.
La rareté relative de la main-d’oeuvre, vers laquelle les tendances démographiques devraient nous conduire, vont certainement pousser les entreprises à utiliser le travail de façon plus efficace.
Finalement, la performance générale de l’économie québécoise devrait s’améliorer pour toutes les raisons déjà évoquées : l’amélioration des finances publiques, la diversification de l’économie, le positionnement dans les nouvelles technologies, mais également un accès quasi illimité à une source d’énergie propre, renouvelable et peu dispendieuse.
Tous ces éléments semblent militer en faveur du fait que le Québec va connaître une accélération de son taux de croissance de productivité au cours de la prochaine décennie.
5.5 Les termes de l’échange
Le dernier élément de cette équation est l’évolution des termes de l’échange du Québec. Comme rapport entre le prix moyen de ce que nous vendons et le prix moyen de ce que nous achetons, les termes d’échanges varient essentiellement en fonction du rapport des prix à l’exportation et à l’importation. Historiquement, cette variable a donc été fondamentalement influencée par l’évolution du prix des matières premières. La seule période de divergence majeure entre l’évolution des termes de l’échange du Québec et l’évolution du prix des matières premières a lieu durant la première moitié des années quatre-vingt. Cette époque correspond également à la période où les exportations du Québec se sont diversifiées pour commencer à être moins dominées par les ressources naturelles. Cependant, les variations de nos termes de l’échange restent fortement dépendantes des fluctuations du prix de ces ressources.
L’évolution à long terme de cette variable est donc particulièrement difficile à prédire, mais, par chance, il est relativement peu probable qu’elle joue un rôle majeur dans l’évolution future du niveau de bien-être du Québec.
6. Le futur
Le tableau 5 résume l’évolution probable (à l’horizon 2020) du niveau de vie des Québécois à la lumière de ce que nous venons de discuter. Ce tableau illustre parfaitement le problème que l’évolution démographique va représenter pour le Québec au cours des 20 prochaines années.
Même si l’on forme des attentes optimistes par rapport à la santé de l’économie québécoise – en supposant qu’elle sera capable de ramener le taux de chômage à 6,5 % et de soutenir une croissance de la productivité de 2 % par an, le taux de croissance du niveau de vie des familles québécoises va encore ralentir pour se situer à un niveau à peine supérieur à 1,5 % de croissance annuelle moyenne.
Conclusion
Au cours des années soixante, l’évolution démographique contribuait positivement à la croissance du niveau de vie des Québécois à un niveau proche de 2 % par an. Cet effet s’est ralenti et va bientôt se retourner au point de contribuer négativement à cette évolution.
La décomposition de la croissance du revenu réel par habitant qui a été présentée permet de mieux mesurer l’ampleur du défi démographique qui attend l’économie québécoise au cours des 20 prochaines années. Même si l’on forme des attentes très optimistes par rapport à l’évolution économique – en supposant par exemple une croissance de la productivité de 3 % par an au cours de la période et un taux de chômage à 3,5 % – le taux de croissance du niveau de vie resterait largement inférieur à 3 % au Québec, soit un niveau à peine supérieur à celui que nous connaissons depuis cinq ans. Si par contre la performance économique venait à être moins bonne – une croissance plus lente de la productivité et un marché du travail moins solide – il serait tout à fait concevable d’imaginer que le niveau de vie des Québécois sera stagnant ou même baissera au cours des 20 prochaines années.
Le défi qui attend l’économie québécoise est un défi en comparaison duquel les efforts accomplis pendant cette décennie pour assainir les finances publiques vont ressembler à une sinécure. Le Québec – comme les autres provinces canadiennes et plusieurs pays européens – va bientôt payer le prix de 30 années sans enfants.
Au cours des 20 prochaines années, le poids de la démographie va peser sur l’évolution de notre niveau de vie. L’économie québécoise est condamnée à performer. Il y a 50 ans, les premiers auteurs de la théorie de la croissance avaient bien compris l’importance de la démographie dans la croissance économique. Nous avions un peu oublié cette réalité. Durant le futur, elle va nous rattraper.
Parties annexes
Remerciements
Texte du discours présidentiel prononcé à l’occasion du 42e congrès de la Société canadienne de science économique, Aylmer, mai 2002. Je remercie tout particulièrement Pierre Fortin, qui a été le premier à attirer mon attention sur l’importance de ce sujet et qui m’a offert de très nombreux conseils et commentaires. J’ai également bénéficié des commentaires de Gérard Bélanger, Pierre-Yves Crémieux, Claude Fluet, Bernard Fortin et Jimmy Royer.
Bibliographie
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- Canadian Institute for Health Information (1999), The Evolution of Public and Private Health Care Spending in Canada: 1960 to 1997.
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- Fortin, Pierre (1996), « Presidential Address: The Great Canadian Slump », Canadian Journal of Economics, 29 : 761-787.
- Mérette, Marcel (2002), « The Bright Side: A Positive View on the Economics of Aging », Choices, 8(1) : 1-25.
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