Volume 15, numéro 1, 2007 Mémoires et usages religieux de l’espace Sous la direction de Michèle Baussant et Marie-Pierre Bousquet
Sommaire (8 articles)
Liminaire
Thème
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Des voyageurs immobiles. Pratiques communautaires autour du pèlerinage (Haute Égypte)
Frédérique Fogel
p. 19–42
RésuméFR :
Cet article aborde le rite de pèlerinage majeur de l’islam, le grand pèlerinage à La Mecque, par l’observation conjointe des dimensions individuelle et collective. Celui qui accomplit le hajj connaît une expérience unique dont il revient transformé. La communauté villageoise facilite son départ, vit le rituel par procuration, réintègre le pèlerin à son retour. En son absence, les « voyageurs immobiles » ornent de peintures la façade de sa maison, célébrant l’acte de piété, exposant leurs valeurs, affichant le pacte social. L’analyse des engagements individuel et collectif fait apparaître que la logique du rite de passage est plurielle, relative aux configurations multiples de la présence et de l’absence, du rôle et du statut, du temps et de l’espace, de l’expérience et de l’émotion.
EN :
This article looks at the main Islamic pilgrim rite, the great pilgrimage to Mecca, by taking into account how it is seen by both the individual and the group. The pilgrim who actually partakes in the hajj undergoes what can be considered a unique experience from which he returns transformed. The community facilitates his departure, as well as shares in the ritual and reunites with him when he returns. While the pilgrim is away these « stationery travelers » decorate the front of his house with paintings celebrating the act of piety, exhibiting their values and also their social pact. The analysis of the individual and collective involvement reveals that the logic of this rite of passage has many meanings regarding presence and absence, of role and status, of time and space, of experience and emotion.
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Des lieux de pèlerinage comme cadres de la mémoire : l’exemple d’un sanctuaire franco-algérien
Michèle Baussant
p. 43–68
RésuméFR :
Cet article s’intéresse à la question du sanctuaire comme cadre de la mémoire, en analysant la transposition d’un lieu de culte marial de l’Algérie à la France, à la suite de l’exil sans retour d’une population dispersée et hétérogène, les Européens d’Algérie, qui vit ses expériences passées comme rejetées de part et d’autre de la Méditerranée. Il s’attache à examiner dans un premier temps les similitudes et les caractéristiques distinctives des deux sanctuaires, lesquelles mettent en lumière les contours d’une relation différentielle au passé. Il conduit dans un second temps à discuter la notion de lieu de mémoire, en suivant les analyses de Maurice Halbwachs sur les relations entre mémoire dite collective, temps et espace.
EN :
In this article, I would like to examine how a shrine can be viewed as a frame of memory. My purpose is to analyse the rebuilding in France of an Algerian worship place, dedicated to the Virgin, after the exile of the repatriates of Algeria. I will attempt to highlight the distinctions and the similarities between both shrines, in Algeria and in France, in order to grasp the various outlines of the past. Following Maurice Halbwachs’ analyses of relations between social memory, time and space, will lead me to question the notion of « Lieux de mémoire ».
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Mémoire et prégnance des lieux dans la structuration de l’islam en Martinique
Liliane Kuczynski
p. 69–93
RésuméFR :
En Martinique, l’islam est apparu dans les années 1980. Représenté d’abord par des migrants venus d’Afrique de l’Ouest et du Maghreb, il a gagné progressivement des Martiniquais qui se sont convertis tandis que d’autres, notamment des commerçants palestiniens présents dans les îles depuis longtemps, reprenaient une pratique religieuse qu’ils avaient abandonnée. La question de l’origine et la mémoire des lieux jouent un rôle essentiel dans les essais de structuration de l’islam dans les îles et dans la séparation en différents groupes. On identifiera trois références antagonistes, variables dans leur efficacité et leurs effets, qui orientent de façon différente selon les groupes tant l’agencement des lieux que les rituels et les comportements des fidèles : la référence à l’arabité et à un terroir « originel » oriental; la référence (ambiguë) à l’Afrique; la référence au terroir antillais.
EN :
Islam appeared in Martinique during the 1980’s, due to the appearance of migrants coming from West Africa and Maghreb. Certain natives from Martinique then converted whereas other inhabitants of the island gradually returned to a religious practice of Islam that they had previously given up. This is especially true of the Palestinian shopkeepers, who had settled in the island in the early forties. The issue of roots and the memory of places play a prominent role in the attempt to organize Islam in Martinique as well as in the division of various Islamic groups. This paper analyzes three antagonistic references which variously affect believers’ strategy and choices as far as places of worship and rituals are concerned : Arab identity and the reference to a Middle Eastern land of origin, the ambiguous reference to Africa, and finally, the reference to the Caribbean territory.
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Les monastères de Syrie. Ancrage sacré des Églises et inscription politique dans le territoire national
Anna Poujeau
p. 95–112
RésuméFR :
Depuis une trentaine d’années, on assiste en Syrie à un renouveau important du monachisme chrétien. Les rénovations et les constructions de grands monastères entreprises par certaines autorités ecclésiastiques traduisent clairement une volonté de création de leurs propres traces historiques dans le territoire national. À partir de l’étude de la construction de cette historiographie particulière, elle-même, prise dans les perspectives générales de la construction nationale syrienne dictées par le régime en place, cet article se propose d’analyser les modalités d’inscription sociale des chrétiens dans le territoire national, ainsi que leur inscription politique dans la société syrienne.
EN :
In Syria, within the last thirty years, there has been an important revival of Christian monasticism. Restorations and constructions of large monasteries undertaken by certain denominational Churches clearly demonstrate a will to create their own historical prints within national territory. Considering the construction of this particular historiography in the general context of government’s construction policy, this article analyzes the modalities of Christians’ social inscription in the national land as well as their political inscription in Syrian society.
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Raconter la Russie des Juifs en 1839
Mirela Saim
p. 113–129
RésuméFR :
L’article examine les mémoires des voyages en Russie de Max Lilienthal, un texte d’exception sur la Russie juive : le jeune voyageur juif venu d’Allemagne décrit l’image d’une communauté religieuse et ethnique à l’aune de la crise dramatique des Lumières, drame qui se déploie sur le territoire de la Russie tsariste. À la fois engagé et curieux de tout ce qui a trait à la situation des Juifs, Max Lilienthal construit dans ses lettres de Russie un espace idéologique particulier, à la fois cloisonné et divers, cartographiant la condition juive dans l’empire de Nicolas ier et imposant une comparaison éclairante avec le texte du voyage russe d’Astolphe de Custine, écrit à la même époque, mais beaucoup mieux connu.
EN :
This paper examines the image of the Russian Jewry in the memoir of Max Lilienthal, a Jewish-German author who explored the Russian Pale of settlement on official mandate in 1839. In so doing, he built a representational space of a persecuted minority in the tsarist empire, a minority already diversified and fragmented, under complex and polarizing pressures to reform (within traditional frames). The many challenges of Jewish modernization under Nicholas I, as understood by Lilienthal, become even more dramatic when compared with a contemporary text of travels in the Russian empire, the famous « La Russie en 1839 » by Astolphe de Custine, a text that gave an iconic representation of the police state in its dealings with minority religious and ethnic groups.
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L’attrait de mouvements ultra-orthodoxes parmi les jeunes Juifs d’origine marocaine à Montréal. Échos diasporiques et constructions locales
Jean-Luc Bédard
p. 131–150
RésuméFR :
Mon analyse porte sur des constructions de la mémoire et de l’identité, parmi trois générations de Juifs montréalais d’origine marocaine. En particulier, les rapports avec les mouvements ultra-orthodoxes sont révélateurs de positions quant à la judéité et à la séphardité, dans un processus de différenciation par rapport aux coreligionnaires ashkénazes. À travers une analyse du rapport au passé et des constructions de la mémoire, en plus de l’historiographie des rapports entre Ashkénazes et Sépharades depuis l’expulsion d’Espagne de 1492, il en découle une remise en question, partielle, de ces deux catégories ethnoreligieuses. Comme les cadres sociaux de la mémoire, la notion de frontière permet d’éclairer les processus contemporains de représentation de soi et des autres, parmi cet ensemble diasporique qui négocie ainsi, à la fois, ses rapports à la société locale, ses frontières internes et ses dynamiques transnationales.
EN :
My analysis examines memory and identity constructions among three generations of Montreal Jews of Moroccan origin. Emphasis is placed on opinions towards ultra-orthodox movements which reveal positioning of their own Jewish and Sephardic identity, in a differentiating process from their Ashkenazim fellow Jews. Analysis of relations to the past and memory constructions, as well as the historiography of relations between Ashkenazim and Sephardim since the 1492 expulsion from Spain, results in a partial questioning of these two ethno-religious categories. Like memory’s social frames, the notion of frontier sheds light on contemporary processes of representations of self and others, inside this diasporic entity, therefore negotiating, at once, its relations with the local society, its internal frontiers and its transnational dynamics.
Hors-thème
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Le débat de la pertinence existentielle de la théodicée. Positions, enjeux et éclairages sur les rapports entre théorie et pratique
Lamphone Phonevilay
p. 153–170
RésuméFR :
Dans les années 1980, deux auteurs, Kenneth Surin et Terrence W. Tilley, ont amorcé un débat quant à la pertinence existentielle de la théodicée, en critiquant fortement l’entreprise de cette dernière. Leurs positions ont provoqué de vives réactions dans l’arène universitaire, celles-ci s’avérant soit favorables, soit défavorables à la théodicée. L’article expose les positions des principaux protagonistes du débat et propose quelques réflexions sur le thème des rapports entre théorie et pratique qui s’y dégage. À l’horizon de ce débat se dessine une vision binaire des choses, que l’auteur critique pour dénouer les impasses actuelles dans lesquelles celui-ci semble être plongé.
EN :
In the 1980s, scholars Kenneth Surin and Terrence W. Tilley inaugurated the debate of the existential relevance of theodicy through a firm criticism of the latter enterprise. Their positions triggered a number of reactions, both favourable and unfavourable toward theodicy, on the academic scene. This article presents the main positions of that debate and reflects on the relationships between theory and practise that stem out of it. Underlying this debate lies a binary vision of things which the author criticizes in order to surmount the pitfalls in which the debate seems to be put.