Volume 13, numéro 2, automne 2005 Violence et souffrance rédemptrices Sous la direction de Jean-Guy Nadeau
Sommaire (8 articles)
Liminaire
Thème
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Violence, souffrance, mort et croix... rédemptrices ? Questions de sens et de foi
Jean-Marc Gauthier
p. 21–44
RésuméFR :
La violence peut-elle sauver ? La souffrance peut-elle sauver ? La mort peut-elle sauver ? Peuvent-elles être rédemptrices ? Et la croix ? La violence, la souffrance, la mort, la croix n’ont pas de sens en elles-mêmes, mais il est légitime de vouloir leur en donner. Ce texte pose, entre autres, la question du salut : salut des êtres humains violents et/ou victimes de violence, des êtres humains souffrants, des êtres humains mourants, meurtris, tués, morts. Des crucifiés de toutes sortes. Ce texte pose la question de la croix rédemptrice et ose affirmer, un peu naïvement, que seul l’Amour divin peut vraiment sauver, si Dieu est vraiment Dieu.
EN :
Can violence save ? Can suffering save ? Can death save ? Can they be redemptive ? And the Cross ? Violence, suffering, death and the Cross have no meaning by themselves but it is legitimate to want to give them a justification. This paper raises the question of salvation : salvation of human beings who are violent and/or victims of violence ; salvation of human beings who are suffering, dying, wounded, killed, dead. People who are crucified anyway. This paper also raises the question of the Cross as redemptive and claims, somewhat candidly, that only Divine Love can really save, if God is really God.
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Souffrance rédemptrice dans le judaïsme ? Entrevue avec Shmuel Trigano
Shmuel Trigano et Jean-Guy Nadeau
p. 45–67
RésuméFR :
Cette entrevue avec Shmuel Trigano, directeur de Pardès , considère que ce n’est pas la souffrance comme telle qui a valeur en judaïsme, mais le témoignage de la foi. On trouve certes dans le judaïsme une mystique de la souffrance pour la sanctification du Nom ( Kidouch haChem ), mais elle n’y a pas le poids de la souffrance rédemptrice en christianisme. Et si la Bible attribue à Dieu quelque implication dans la violence, Trigano considère que, sur le plan historique, il faut chercher la responsabilité humaine et non la responsabilité divine. Ce qu’il fait devant la Shoah et devant la violence au Moyen-Orient, dont l’horrifient les interprétations religieuses qui en attribuent à Dieu le dessein ou la responsabilité.
EN :
This interview with Shmuel Trigano, editor of Pardès , considers that it is not suffering as such that has value in Judaism, but the testimony of faith. One certainly finds in Judaism a mystique of suffering for the sanctification of the Name ( Kidouch haChem ), but it does not carry the same weight as redeeming suffering in Christianity. And while the Bible attributes to God some involvement in violence, Trigano considers that, on a historical level, it is necessary to look for human and not divine responsibility. So is he appalled by religious interpretations that assign to God intentionality or responsibility for the Shoah and violence in the Middle East.
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Le concept de martyre en islam
Ali G. Dizboni
p. 69–81
RésuméFR :
Cet article analyse le concept de martyre en islam. En premier lieu, nous présentons brièvement le concept de djihad selon le Coran, les hadiths (les paroles de Mahomet) et les propos des compagnons de ce dernier. En deuxième lieu, nous explorons les caractéristiques du concept de martyre et son lien avec le djihad dans les textes sacrés. En troisième et dernier lieu, nous examinons plus spécifiquement certains aspects rituel, politique et idéologique du martyre dans l’islam et l’islamisme chiites contemporains.
EN :
This article examines different aspects of martyrdom in Islam. This analysis follows three steps. Firstly, we briefly present the concept of Jihad and its normative status in Koran, in Hadith and in the statements of the early Muslims. Secondly, we explore the characteristics of the concept of martyrdom and its relationship with Jihad in the Islamic sacred texts. Thirdly and finally, we examine more specifically the ritual, political and ideological characteristics of martyrdom in contemporary Shia Islam.
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Les victimes d’abus sexuels confrontées à la souffrance et à la violence de la Passion
Jean-Guy Nadeau, Carole Golding et Claude Rochon
p. 83–107
RésuméFR :
Les croyances religieuses offrent en principe des ressources pour faire face aux événements traumatisants, mais il y a aussi des cas où elle en accroît le traumatisme ou en retarde la résolution. L’article rend compte de l’expérience de victimes d’abus sexuels durant l’enfance face à la Passion de Jésus. La réflexion s’organise autour des pôles de l’identification et de l’imitation de la figure de Jésus. Non seulement le discours traditionnel chrétien peut-il s’avérer délétère pour les victimes, mais les nombreuses approches critiques développées au vingtième siècle s’avèrent fréquemment insuffisantes pour les victimes. Il demeure donc impératif de développer une christologie qui refuse le statut de volonté divine à la souffrance et à la violence dont elle est souvent issue.
EN :
Religious beliefs theoretically offer resources to help face traumatizing events, but they can also increase the trauma or delay its resolution. This article accounts for the experience of victims of childhood sexual abuse with respect to the Passion of Jesus. It is structured around the poles of identification with and imitation of the figure of Jesus. Not only can traditional Christian discourse prove to be harmful for the victims, but the many critical approaches developed during the twentieth century also frequently prove unsatisfactory for the victims. Thus, it remains crucial to develop a Christology that refuses the statute of divine will to suffering and to the violence from which it often results.
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Corps de passions et vérité : de la réception d’un témoignage de foi
Michel-M. Campbell
p. 109–131
RésuméFR :
La Passion du Christ de Mel Gibson, témoignage de foi public marqué par la violence, a soulevé bien des passions. Cette contribution tente de rendre compte, dans une perspective praxéologique, du jeu complexe des pratiques et des interactions engagées dans la relation particulière du public et des Églises à un film vu et discuté par des dizaines de millions de personnes à travers le monde. L’auteur, qui s’intéresse tout autant à la médiatisation et à la réception du film qu’à sa facture et à son contenu, rend compte d’une partie des discussions, des appréciations (ecclésiales) et des mises en garde (théologiques) par rapport à ce film. Ce qui ressort de ses observations, c’est la puissance de l’industrie de rêves qu’est le cinéma, mais aussi la variété des manières d’aborder le film, dont certaines sont, tout comme le film, marquées par la violence.
EN :
Mel Gibson’s The Passion of the Christ , public testimony of faith marked by violence, gave rise to a great deal of passions. This contribution seeks to elucidate, in a praxeological perspective, the complex play of practices and interactions involved in the particular relation of the public and the Churches to a movie seen and discussed by millions of people across the world. The author, who is interested as much in the media coverage and reception of the movie as he is in its contents, reports parts of discussions about (ecclesial) appraisals of and (theological) warnings against this movie. What results from his observations is the power of the industry of dreams that cinema is, but also the variety of the ways to approach the movie, a few of which are marked by violence as well.
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Du bon usage de la mémoire de l’esclavage des Noirs comme un possible capital de rédemption : l’exemple de Bakhita
Armel Brice Adanhounme
p. 133–163
RésuméFR :
À partir du cadre méthodologique de la biographie comme théologie (McClendon 1970), cet article propose la mémoire de l’esclavage des Noirs comme un possible capital de rédemption. L’argument est basé sur la vie de sainte Joséphine Bakhita, ancienne esclave africaine, qui, devant mourir, a supplié de desserrer les chaînes si lourdes de l’esclavage. Dans une perspective hagiographique, trois points structurent le paradigme d’une théologie de l’esclavage chez Bakhita : le récit, le souvenir et la récupération de la mémoire de l’esclavage. L’idée de possible capital de rédemption s’articule conséquemment autour des mêmes caractéristiques : la subversion du récit hégélien sur l’esclavage des Noirs par le modèle de Bakhita, une rupture historique et épistémologique de l’interprétation de ce récit, et une rébellion prophétique par la possibilité de dire non.
EN :
Following McClendon’s (1970) framework of biography as theology, this paper proposes the memory of the slavery of Blacks as possible capital of redemption. The argument is based on the life story of Saint Josephine Bakhita, a former African slave, who urged at the end of her life to loosen the heavy chains of slavery. In a hagiographical perspective, three steps structure this claim : the narrative of slavery, its memory, and its retrieval, each time shaped by Bakhita’s theology of slavery set as paradigm. Consequently, the idea of possible capital of redemption followed the same patterns : the subversion of the Hegelian discourse by a new narrative Bakhita-based, the historical and epistemological rupture as alternative to the misleading memory of slavery, and the prophetic rebellion by the possibility to say no.
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La pierre rejetée par les bâtisseurs
René Girard
p. 165–179
RésuméFR :
Après avoir précisé le sens premier de l’expression polysémique « bouc émissaire », l’auteur démontre l’universalité du phénomène ainsi désigné, depuis les sociétés archaïques jusqu’aux contemporaines, universalité qui trouve son fondement dans l’existence d’une hiérarchie sacrificielle commune à l’humanité entière. Sur ce fond, l’auteur compare le judéo-christianisme aux religions archaïques, d’une part explicitant l’élément essentiel qu’ils partagent, le phénomène du bouc émissaire, d’autre part s’inscrivant en faux contre l’assimilation de l’expression judéo-chrétienne de ce phénomène à ses présumés parallèles rencontrés dans les religions archaïques. Colonne vertébrale du nihilisme moderne, cette assimilation simpliste occulte sur ce chapitre l’unicité du judéo-christianisme, qui seul défend et réhabilite ses boucs émissaires.
EN :
After having specified the primary sense of the polysemous expression “scapegoat”, the author demonstrates the universality of the phenomenon thus designated, from archaic to contemporary societies, universality which is founded on the existence of a sacrificial hierarchy common to whole humanity. On this ground, the author compares Judeo-Christianity to archaic religions, on the one hand showing the essential element they share, the scapegoat phenomenon, on the other rejecting the assimilation of the Judeo-Christian expression of this phenomenon with its supposedly parallels found in archaic religions. Spinal column of Modern nihilism, this simplistic assimilation occults on that subject the uniqueness of Judeo-Christianity, which alone defends et rehabilitates its scapegoats.