Volume 4, numéro 2, octobre 1996 L’épreuve du rien
Sommaire (7 articles)
Liminaire
Thème
-
La mort et le rien
Fernand Couturier
p. 11–39
RésuméFR :
Ce texte se veut une explicitation simple d’une parole énigmatique de Heidegger : La mort est l’écrin du rien. Il invite à une lecture du texte original qui a besoin de prendre la parole avant le débit des discussions de second degré. Des « scientifiques » s’en trouveront frustrés. Mais tout esprit attentif pourra entrevoir à partir de l’oeuvre même comment la mort, assumée véritablement dans la vie, tout en affichant impitoyablement le rien des choses laisse se profiler l’être, et partant introduit la pensée dans le dépaysement de l’étrange, de l’originel, de ce qui ne renvoie plus à autre chose comme à son fondement. Cet abîme du rien entretient l’interrogation et dispense à la pensée l’ouverture d’une inquiétude salvatrice.
EN :
This text works towards a simple explanation of an enigmatic speech by Heidegger: La mort est l’écrin du rien. It invites a reading of the original text that needs to speak before the flow of second order discussions. "Scientists" will find themselves frustrated. But all attentive minds can glimpse from the work itself, how death, genuinely accepted in life, though mercilessly announcing nothingness, left to emanate being and hence introduces thinking in the disorientation of the strange, of the original, of that which no longer refers to something else, like its foundation. This abyss of nothingness maintains a questioning and offers to a thinking the opening of a saving anxiety.
-
« …und daz niht was got. » : maître Eckhart sur la liberté de l’humain en Dieu
Jean-François Malherbe
p. 41–62
RésuméFR :
À la différence des créatures qui sont « un pur rien » lorsqu’elles ne sont pas traversées par un regard humain amoureux de Dieu, Dieu est à la fois « un rien » et « un quelque chose ». Il transcende dans sa propre dynamique d’être toute forme de dualité. Il est l’unifiant. Dès lors, l’âme qui se laisse séduire par lui est affranchie et devient elle-même Dieu. Du coup l’antagonisme de la volonté divine et de la volonté humaine disparaît dans le mouvement d’une perpétuelle déprise des images que nous nous faisons de Dieu comme de nous-mêmes.
EN :
Unlike the creatures that are "a pure nothing" when they are not touched by a human look in love with God, God is at the same time a "nothing" and a "something". He transcends in His special dynamic of being all forms of duality. He is the unifying. Therefore, the soul that allows itself to be seduced by God is free and becomes itself God. The impact of the antagonism between the divine will and the human will consequently disappears in the movement of a perpetual renunciation to the images that we draw of God as well as of ourselves.
-
Néantisation et relationalité chez NISHIDA Kitarô et WATSUJI Tetsurô
Jacinthe Tremblay
p. 63–82
RésuméFR :
Le néant absolu (zettai mu) a suscité divers types de discours dans la philosophie japonaise contemporaine, notamment celui de la relationalité, dont traitent principalement NISHIDA Kitarô (1870-1945) et WATSUJI Tetsurô (1889-1960). Nishida met en lumière le lien intrinsèque entre le néant absolu et la relationalité en montrant que l’individuel (kobutsu) est tel uniquement par le fait de se confronter à un autre individuel, et que cette confrontation est un processus de néantisation absolue par lequel l’individuel renvoie constamment à l’autre, ce qui permet en retour une auto-affirmation absolue. Le néant absolu est également le fondement de la structure relationnelle de Watsuji, qui fait l’originalité de son éthique. L’humain (ningen), à la fois individuel et social, comporte une négation par laquelle il nie l’ensemble de l’humanité, se constituant ainsi comme individu et comme société. Tant la philosophie de Nishida que celle de Watsuji convergent vers le néant absolu et s’articulent autour de lui.
EN :
Absolute nothingness (zettai mu) has provoked diverse discourses in contemporary Japanese philosophy, notably that of relationality, treated principally by NISHIDA Kitarô (1870-1945) and WATSUJI Tetsurô (1889-1960). Nishida illuminates the intrinsic link between absolute nothingness and relationality by showing that the individual (kobutsu) is such as she or he is, uniquely by virtue of confronting another individual. This confrontation is a process of absolute negation by which the individual constantly refers to the other, which in return, permits an absolute self-affirmation. Absolute nothingness is equally the foundation of the relational structure of Watsuji which is what makes his ethics original. The human being (ningen), at once individual and social comprises a negation by which he denies the whole of humanity thus constituting himself as individual and as society. Both the philosophies of Nishida and Watsuji converge towards absolute nothingness, and both hinge on this concept.
-
Le rien et Dieu chez Cioran
Marc Dumas
p. 83–98
RésuméFR :
Cet article explore le monde et la pensée de Cioran sur le Rien. Il dégage tout d’abord l’horizon cioranien, où l’humain semble écartelé entre le Rien originaire, dont il peut à l’occasion faire l’expérience, et le néant de son existence. Devant cela, Cioran lance un appel à une plus grande lucidité, pour éviter les diverses illusions offertes sur le marché de l’existence. L’article présente ensuite diverses compréhensions du Rien. Celui-ci est alors mis en corrélation avec le thème de la mort et celui de Dieu. L’auteur souligne enfin l’apport possible de l’oeuvre cioranienne pour le travail théologique aujourd’hui.
EN :
This article explores the world and thoughts of Cioran on nothingness. It explains, firstly, the cioranian horizon where the human being seems to be torn between original nothingness, which he can experience on occasion, and the nothingness of his existence. Facing this, Cioran appeals to a greater lucidity to avoid the illusions offered by the market of existence. Secondly, this article presents diverse understandings of nothingness. This is then correlated with the theme of death and that of God. The author underscores the contribution of cioranian works for contemporary theology.
-
Le rien et le féminisme : à propos de la gratuité
Denise Couture
p. 99–115
RésuméFR :
Le rien apparaît d’emblée comme un de ces concepts étrangers, même rébarbatifs, aux théories féministes. Luce Irigaray l’a abordé dans son essai sur Martin Heidegger. Elle établit un lien entre la manière dont il construit le rien et la néantisation du ‘féminin’ dans le discours. En son projet discursif, il logerait ‘elle’ au lieu de la gratuité même, du don qui se donne sans limite de ressource et sans retour. Mais ‘elle’ est aussi ailleurs, celle qui parle et qui invite à un échange. Le chemin de l’homme vers le rien et la gratuité pourrait ne plus habiter le langage de l’indifférence sexuelle.
EN :
Nothingness has appeared at once to feminist theories as an unfamiliar and daunting concept. Luce Irigaray has tackled this theme in her essay on Martin Heidegger. She establishes a link between the manner in which he constructs nothing and negation of the "feminine" in discourse. In his discursive project he would locate "she" in the realm of "gratuitousness" itself, of a gift that gives itself without restraint of ressources and without return. But "she" is also somewhere else, she who speaks and who invites exchange. The route of man towards nothingness and gratitude can no longer inhabit the language of sexual indifference.
Hors-thème
-
Orientation lacanienne sur les rites
Guy-Robert St-Arnaud
p. 117–131
RésuméFR :
Rites et religion ne conduisent pas inexorablement au constat freudien de la névrose universelle. En effet, les pratiques rituelles n’occupent pas un seul discours. Cette diversité ne soustrait pas les rites au point de vue freudien mais conduit à une autre lecture, celle de l’opération des signifiants. L’orientation lacanienne permet de la mettre en évidence et de la déployer dans sa façon particulière de produire des effets de sens.
EN :
Rites and religion do not lead inexorably to the Freudian claim of a universal neurosis. In effect, ritual practices do not occupy a single discourse. This diversity does not remove rites from a Freudian point of view but leads to another reading, that of the operation of signifiers. A Lacanian orientation reveals and displays this operation in its particular fashion of producing effects of meaning.