Recensions

Sophie Vanden Abeele-Marchal, Tocqueville. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Qui es-tu ? »), 2023, 208 p.

  • Aymeric Bonnin

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  • Aymeric Bonnin
    Université de Bordeaux

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Couverture de Volume 80, numéro 1, 2024, p. 3-164, Laval théologique et philosophique

Dans cet ouvrage, Sophie Vanden Abeele-Marchal retrace l’itinéraire intellectuel d’Alexis de Tocqueville, auteur d’une oeuvre qui constitue « l’un des incontournables classiques de la pensée politique occidentale » (p. 11). En se fondant sur l’analyse de sa jeunesse, de sa formation, de ses rencontres ou de ses voyages, l’autrice nous permet de mieux comprendre la genèse des convictions du penseur français, aristocrate et témoin méfiant de l’apparition d’un fait politique et social nouveau : l’avènement de la démocratie. Les différents voyages de Tocqueville font l’objet d’une attention toute particulière. Ils fourniront en effet la matière à ses travaux emblématiques, l’Amérique bien sûr, mais aussi l’Angleterre ou l’Algérie, destinations parfois négligées par les commentateurs de l’oeuvre tocquevillienne. Le chapitre intitulé « L’écrivain » décrit précisément la méthode, le style utilisés et l’exigence dont a fait preuve Tocqueville pour rédiger son grand oeuvre, De la démocratie en Amérique, publié en deux temps, en 1835 et 1840. Le premier tome « tient autant du traité par sa visée scientifique, que de l’essai, dans sa mise en perspective polémique du sujet » (p. 141). Ainsi, « avec audace et intransigeance, il entend examiner dans toutes leurs dimensions les conséquences de l’égalisation des conditions par la civilisation, fait générateur des démocraties » (p. 143). Dans la partie consacrée à la Deuxième démocratie, très documentée, l’autrice insiste sur l’ambivalence de la démocratie chez Tocqueville. Cet ouvrage décrit en effet un régime fondé, certes, sur l’égalisation des conditions, résolument bienveillant, mais qui laisse néanmoins entrevoir nombre de périls ; l’individualisme moderne, que le philosophe canadien Charles Taylor, en cela continuateur de Tocqueville, n’a cessé de critiquer ; la centralisation abusive ; la tyrannie de la majorité ; un égalitarisme forcené et l’apathie politique menacent les libertés des citoyens à l’ère démocratique. Ce « despotisme » d’un genre nouveau peut pourvoir à tous les besoins de l’individu mais l’empêche peu à peu de s’emparer de « la chose publique » et de s’intéresser à son prochain. Replié sur lui-même, l’individu moderne ne songe alors qu’à son bien-être matériel, délaissant ainsi une réflexion plus large sur le vivre-ensemble. Mais Tocqueville entrevoit des solutions : la faculté des démocrates à s’associer, la liberté de la presse, la décentralisation ou comme le rappelle l’autrice « une exigence impérieuse de participation à la vie collective […] » (p. 155), peuvent contrer les effets délétères précédemment évoqués. La démocratie, comme régime politique et comme état social, souffre ainsi d’angles morts, de paradoxes et d’ambiguïtés que Tocqueville, et c’est là tout son génie, a réussi à identifier à l’âge de vingt-cinq ans, et ce au-delà des apparences. L’analyse de L’Ancien régime et la Révolution et des Souvenirs, autres ouvrages emblématiques, permet à l’autrice d’évoquer la vie politique d’Alexis de Tocqueville. L’avant-dernier chapitre de l’ouvrage nous rappelle en effet la passion mais aussi les désillusions qui ont accompagné sa carrière comme parlementaire d’abord, puis comme Ministre des Affaires Étrangères dans le gouvernement d’Odilon Barrot. Penseur brillant mais modeste orateur, il ne parvint jamais vraiment à s’affirmer dans l’hémicycle. Enfin, grâce à la mise en lumière de la correspondance de Tocqueville, la fin du livre nous fait rentrer dans l’intimité de l’homme qui, au soir de sa vie, entre espoirs et regrets, connut « ce drame, intime et familial » (p. 195) de ne pas avoir de descendance. Le livre de Sophie Vanden Abeele-Marchal, d’une grande richesse et d’une remarquable clarté, contribue donc, avec brio, à (re)placer Tocqueville au rang des penseurs essentiels.