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Résistances culturelles et revendications territoriales des peuples autochtones est un recueil publié en 2015 chez Connaissances et Savoirs comme suite à un colloque organisé en 2010 à l’Université de Strasbourg et auquel ont participé plusieurs chercheurs et chercheures, principalement des doctorants et doctorantes en ethnologie, anthropologie et sociologie. Le livre adopte globalement des théories classiques en sciences sociales, comme en témoignent les bibliographies où, à l’exception d’une référence à l’historien sioux Vine Deloria Jr, figurent majoritairement des théoriciens européens ou nord-américains bien établis tels que Pierre Bourdieu, Clifford Geertz, Stuart Hall, Bruno Latour, Claude Lévi-Strauss, Georg Simmel, Max Weber.
Si le recueil présente, certes, des études de cas portant sur des peuples autochtones, il demeure cependant éloigné de qu’il est convenu de nommer en Amérique du Nord les « études autochtones », et encore plus du champ des études autochtones critiques. Ainsi, pour les personnes qui s’intéressent à des thèmes comme la décolonisation de la recherche (voir Smith 2013 [1999]), les féminismes autochtones ou les méthodes de recherche en contextes autochtones, ou encore à des analyses produites par des Autochtones, cet ouvrage n’est pas une lecture indiquée.
En revanche, le livre s’offre bien comme première introduction à certains thèmes relatifs aux peuples autochtones. Il s’adresse particulièrement à un public européen et présente différentes études de cas où des peuples autochtones ont usé de stratégies souvent innovatrices face à des changements affectant leur rapport au territoire et leurs pratiques culturelles.
L’ouvrage couvre l’ensemble des continents où vivent des peuples autochtones. On y aborde l’Amérique latine, en commençant par la Mésoamérique et les Mayas au Guatemala (José Morales Gramajo). L’Amérique du Sud est présente dans une plus grande proportion, et c’est sur l’Amazonie que les travaux se concentrent : les Mundurukus au Brésil (Maria Soeli Farias-Lemoine), les Tekos et les Wayãpis en Guyane (Vincent Brailly et Éric Navet), ainsi que les Awajúns au Pérou (Sébastien Baud). Par contre, les peuples autochtones d’Amérique du Nord sont absents du recueil.
L’ouvrage couvre également l’Océanie par le truchement du peuple kanak en Nouvelle-Calédonie (Stéphanie Graff). Quant à l’Europe, il est question des Saamis[1] en Norvège (Karen Hoffmann-Schickel) et des Sakhas en Russie (Émilie Maj). On peut toutefois s’étonner de retrouver dans le recueil certaines populations qui ne sont pas typiquement considérées en tant que peuples autochtones, par exemple les communautés serbes de la vallée de la Tisz (Benjamin Landais), les Gourmantchés (ou Gulmanceba) au Burkina Faso (Alexis Kaboré) et les Jawis en Thaïlande du Sud (Pierre Le Roux). Il aurait été bienvenu d’avoir davantage d’explications pour justifier leur présence dans cet ouvrage collectif consacré aux peuples autochtones.
Dans la préface, Hoffmann-Schickel et Navet ont plutôt choisi de réunir les catégories de peuples autochtones et de minorités ethniques en une seule, soit celle des « peuples traditionnels » compris comme des « sociétés qui visent, à tous les niveaux de leur culture, à entretenir un triple équilibre » (p. 11) dans leurs relations sur le plan 1) écologique et spirituel, 2) humain (avec les membres du groupe et avec d’autres groupes) et 3) individuel.
Autant il peut être dangereux d’étendre la catégorie de « peuples autochtones » à des populations qui ne s’en revendiquent pas, il peut être également hasardeux de rassembler des groupes aussi différents que ceux à l’étude dans l’ouvrage sous l’appellation de « peuples traditionnels », vu les effets essentialisant qu’une telle catégorisation pourrait comporter et le risque de gommer ou d’évacuer les considérations politiques des expériences des peuples autochtones. Guimond, Robitaille et Sénécal (2009 : 241) rappellent que l’autochtonie est dynamique et comporte plusieurs dimensions subjectives qui occupent une place croissante. La dimension subjective se réfère à l’idée qu’un peuple se fait de lui-même, à l’appartenance d’un individu à un groupe, à la reconnaissance de ce groupe, ainsi qu’à l’auto-identification autochtone. Dans le contexte actuel où la décolonisation de la recherche s’impose de plus en plus dans le champ des études autochtones pour renverser les écueils de l’anthropologie (post)coloniale, il est de moins en moins recommandable d’apposer verticalement (top-down) une catégorie de « peuples autochtones » à des groupes, sans que ces groupes affichent eux-mêmes une appartenance à l’autochtonie.
Dans le même sens, on s’étonne de voir des appellations coloniales utilisées parfois sans problématisation et de façon interchangeable avec les endonymes. Comment se positionne le chercheur ou la chercheure face à ces choix ; comment ces choix sont-ils reçus par les groupes étudiés ? Voilà des considérations actuelles qu’on aurait aimé voir aborder dans le recueil.
Sujet incontournable puisque fondamental pour les peuples autochtones, plusieurs textes abordent l’articulation identité-territoire. Plusieurs chapitres montrent comment les projets d’exploitation des ressources naturelles viennent cristalliser les enjeux identitaires autochtones autour du territoire, comme l’illustre le conflit du fleuve Alta en Norvège (Hoffmann-Schickel). La menace que représentait le développement hydroélectrique pour le territoire et l’identité saamie (les activités traditionnelles prenant place sur le territoire) a mis en évidence la nécessité de créer une alliance entre les Saamis des quatre pays nordiques (Norvège, Finlande, Suède et Russie) et de créer un nouveau conseil politique pour défendre le territoire et les droits des Saamis. Fait intéressant, ce conseil ne s’est toutefois pas bâti depuis zéro : il s’est développé à même une institution déjà existante depuis 1956, soit l’Institut nordique saami. Ce renforcement politique sur le plan macro-régional a aussi eu des échos sur le plan national : deux parlements saamis ont vu le jour par la suite. D’autre part, le conflit a aussi provoqué une affirmation identitaire sur le plan culturel, à travers la valorisation de pratiques saamies comme l’artisanat et l’élevage de rennes, et à la définition d’une saamicité internationale rassemblant les Saamis des quatre pays. Un conflit territorial peut donc être fédérateur pour des peuples autochtones.
Il est également question d’adaptations de pratiques spirituelles en territoires protégés (Alexis Kaboré). À l’intérieur de ces conflits d’usage et d’interprétation autour du territoire, les peuples autochtones tendent à développer des stratégies de résistance ou de résilience, tout en faisant l’expérience des différentes techniques de contrôle du territoire que les États mettent en place à travers leurs politiques. Il y a donc une dynamique de plaques tectoniques qui se joue entre les acteurs et qui donne lieu à des innovations sociales et à des transformations du politique passant par l’ouverture ou le resserrement d’espaces. Ce mouvement, que Philippe Hamman nomme les dynamiques transactionnelles, participe à la « construction de territoires, sensible aux dynamiques interculturelles et aux déroulés, jamais linéaires, de processus sociaux et sociétaux » (p. 48).
À ce sujet, rappelant les « ruses de la reconnaissance » évoquées par Elizabeth Povinelli (2002) dans The Cunning of Recognition, par lesquelles les Aborigènes d’Australie doivent se prêter à une figure « authentique » de l’Autochtone basée sur une représentation coloniale dégradante pour pouvoir avoir accès aux droits issus de la reconnaissance, le chapitre sur la Nouvelle-Calédonie est évocateur. Stéphanie Graff y analyse les critères de sélection de l’Agence de développement rural et d’aménagement foncier (ADRAF) pour l’attribution des terres, dont les deux principaux critères reposent sur 1) la démonstration du lien à la terre par le peuple kanak et 2) le développement économique sur les terres réclamées. Bien que l’ADRAF soutienne qu’elle se consacre principalement à rétablir le lien à la terre des Kanaks, Graff déconstruit cette prétention en mettant en évidence que 60 % des attributions entre 1978 et 2000 ont été octroyées individuellement à des Européens. L’auteure distingue une politique de restitution des terres aux Kanaks par rapport à la politique de (ré)attribution de l’ADRAF, où le contrôle demeure entre les mains de l’État et où les rapports de pouvoir restent inchangés. En outre, loin d’être la médiatrice qu’elle se prétend être, l’ADRAF, en créant des structures en parallèle avec celles existant déjà dans les communautés, place donc les Kanaks dans une situation de dispute dès le moment où ils souhaitent entreprendre une réclamation.
Comme il est commun pour les actes de colloques étudiants, certains chapitres semblent plus déconnectés en ce qui a trait à la mission que s’est donnée l’ouvrage, et d’autres apparaissent plus inégaux par rapport à d’autres chapitres. Globalement, le recueil présente des textes intéressants abordant les conflits entre (cosmo)visions, territoire et propriété privée qui se cristallisent autour d’un espace, où des peuples autochtones déploient des (ré)actions de résistance et de résilience.
Parties annexes
Note
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[1]
Tout au long du texte, j’ai privilégié les endonymes aux appellations utilisées par les auteurs et auteures du recueil.
Ouvrages cités
- Guimond, E., N. ROBITAILLE et S. SÉNÉCAL, 2009 : « Les Autochtones du Canada : une population aux multiples définitions ». Cahiers québécois de démographie 38(2) : 221-251.
- Povinelli, E.A., 2002 : The cunning of recognition: Indigenous alterities and the making of Australian multiculturalism. Duke University Press, Durham, NC.
- Smith, L.T., 2013 [1999] : Decolonizing methodologies: Research and indigenous peoples. Zed Books Ltd, London et New York.