Corps de l’article

Mise en contexte

La pandémie de COVID 19 a donné lieu à de nombreux bouleversements dans l’expérience scolaire des personnes apprenantes (Beaudoin et al., 2022; Rousseau, 2021; Rousseau et al., 2021; Schwartz et al., 2021) en plus de susciter de nombreuses inquiétudes quant au risque accru de désengagement scolaire (Bray et al., 2021; Efuribe et al., 2020; Whitley et al., 2021), de pertes d’apprentissage et d’abandon scolaire (UNESCO, 2020). À ce titre, l’UNESCO invite l’ensemble des gouvernements et des milieux scolaires à préparer le personnel enseignant à offrir un soutien psychosocial et scolaire aux élèves, et à les sensibiliser ainsi que leurs familles et la société à l’importance du retour à l’école pour poursuivre les apprentissages, notant au passage une préoccupation encore plus grande pour les élèves des groupes plus vulnérables.

Sur la question de l’expérience scolaire, ces travaux mettent en évidence des expériences inégales, tributaires notamment de la qualité de la relation enseignant-élève, mais également du maintien de liens avec les pairs. Ainsi, le maintien du lien avec la personne enseignante, sur le plan tant scolaire que personnel, est essentiel à la qualité de l’expérience (Rousseau et al., 2021). Quant au lien social avec les pairs, la diminution des interactions sociales affecterait négativement la qualité de l’expérience scolaire (Rousseau et al., 2021), en plus d’avoir une incidence importante sur le bien-être des adolescentes et adolescents (Schwartz et al., 2021). L’expérience scolaire en contexte pandémique est aussi tributaire de la qualité des stratégies organisationnelles mises en place par le milieu scolaire (accès au matériel informatique, mise en oeuvre d’espaces d’aide à l’apprentissage ou de soutien personnel, etc.) et par les élèves eux-mêmes (espace de travail, endroit propice au travail à la maison, horaire de travail stable) (Rousseau, 2021; Rousseau et al., 2021). Il s’avère important ici de préciser que la qualité de l’expérience scolaire influence positivement ou négativement l’engagement scolaire (Rousseau et al., 2021), le rendement solaire et les perspectives d’orientation des élèves (Bamba, 2018; Le Bastard-Landrier, 2005). Ce constat pourrait s’expliquer par l’incidence de l’expérience scolaire sur la construction du soi apprenant, notamment le développement d’un sentiment de compétence ou d’incompétence, le sentiment d’être apprécié ou jugé par les pairs et les personnes enseignantes, et le sentiment d’exercer ou non un certain contrôle sur les tâches à réaliser à l’école (Monteil et Huguet, 2002).

Sur la question de l’engagement scolaire, Bray et al. (2021) se sont intéressés à la perspective des personnes enseignantes et des personnes apprenantes. Sous l’angle de la perspective des personnes enseignantes, les auteurs mettent en évidence un degré d’engagement moindre chez les apprenants et les apprenantes durant la crise pandémique, et ce, de façon plus marquée pour les jeunes présentant déjà un certain désintérêt pour l’école. Ces auteurs rapportent que le désengagement durant la crise pandémique résulterait d’un manque d’intérêt chez les personnes apprenantes, d’un manque de soutien de la famille et de l’accès difficile aux outils technologiques. Les auteurs précisent toutefois que les défis entourant les outils technologiques seraient moins dommageables pour l’engagement des jeunes que le désintérêt pour l’école et le soutien familial. Sous l’angle de la perspective des personnes apprenantes, il appert que l’engagement serait plutôt associé à la qualité de la relation enseignant-élève, au déploiement de stratégies favorisant la maîtrise de compétences ainsi que d’approches favorisant le développement de la pensée critique et de la créativité, et à une rétroaction par les personnes enseignantes et les pairs. Les auteurs concluent à l’importante relation entre les pratiques pédagogiques des personnes enseignantes, le degré d’interaction entre ces dernières et les personnes apprenantes, et entre les personnes apprenantes et les pairs sur l’engagement.

Interpellé par l’engagement (ou le désengagement) des personnes apprenantes, un organisme de soutien à la persévérance scolaire de la Mauricie – la Table régionale de l’éducation de la Mauricie – m’a ainsi mandatée pour explorer tant l’expérience scolaire des élèves de la région que les conditions susceptibles de contribuer à leur engagement, au lendemain de la crise pandémique. Outre le recours à la voix des personnes apprenantes pour examiner ces deux questions, j’ai opté pour une mise en relation entre leurs voix et les principes de flexibilité de la conception universelle de l’apprentissage. Ainsi, avant d’en arriver à la mise en relation des solutions proposées par les personnes participantes pour optimiser leur engagement avec les principes de cette conception universelle de l’apprentissage, il m’apparaissait important de situer cette dernière, notamment en ce qui a trait à ses trois grands principes de flexibilité.

L’engagement scolaire sous l’angle de la conception universelle de l’apprentissage

Inspiré du design universel, soit un concept architectural désignant la création d’établissements accessibles pour tous (Bernacchio et Mullen, 2007), le Center for Applied Special Technology propose le concept de conception universelle de l’apprentissage (universal design for learning). La proposition de ce concept repose à l’origine sur la conviction que le matériel scolaire traditionnel permettrait difficilement de répondre à toutes les personnes apprenantes d’une classe. Par exemple, alors que certains élèves pourraient être favorisés par l’utilisation de documents papier, d’autres pourraient se trouver en situation de défis récurrents devant un matériel qui ne tient pas compte des défis occasionnés, par exemple, par une situation de handicap (Rose et Meyer, 2002). Selon plusieurs auteurs, la conception universelle de l’apprentissage contribuerait à appréhender l’étendue des caractéristiques des personnes apprenantes dans le processus d’apprentissage (Capp, 2017; Rao et al., 2014), en plus d’agir sur la qualité de l’expérience scolaire et l’engagement des élèves (Brandt, 2017; Capp, 2017; He, 2014; Katz et Sokal, 2016; Kumar et Wideman, 2014).

Parfois qualifiée de méthode (Capp, 2017), de théorie pédagogique (Al-Azawei et al., 2017), voire de pédagogie universelle (Rousseau et al., 2015), la conception universelle de l’apprentissage repose sur trois grands principes de flexibilité (Center for Applied Special Technology, 2011; Rose et Meyer, 2002) qui devraient guider la planification de l’enseignement (Bergeron et al., 2011; Meo, 2008). Ces principes sont :

  • Recourir à plusieurs moyens de présentation du matériel, favorisant ainsi diverses façons d’acquérir de l’information et de développer les savoirs. Ce principe vise à former des personnes apprenantes débrouillardes, bien informées et compétentes. Il comprend trois lignes directrices : 1) offrir diverses possibilités sur le plan de la perception; 2) offrir diverses possibilités sur les plans de la langue, des expressions mathématiques et des symboles; 3) offrir diverses possibilités sur le plan de la compréhension.

  • Offrir des choix d’action et d’expression, offrant ainsi la possibilité aux élèves de démontrer leurs différents savoirs dans diverses situations. Ce principe vise à former des personnes apprenantes centrées sur des objectifs stratégiques. Il repose sur ces trois lignes directrices : 1) offrir diverses possibilités sur le plan de l’action physique; 2) offrir diverses possibilités sur les plans de l’expression et de la communication; 3) offrir diverses possibilités sur le plan des fonctions exécutives.

  • Favoriser une variété de moyens d’engagement faisant appel aux champs d’intérêt des élèves, les amenant ainsi à relever des défis et à développer leur motivation à apprendre et à s’engager toujours plus. Ce principe vise à former des personnes apprenantes motivées et déterminées. Il repose sur les lignes directrices suivantes : 1) offrir diverses possibilités pour éveiller l’intérêt; 2) offrir diverses possibilités pour soutenir l’effort et la persévérance; 3) offrir diverses possibilités sur le plan de l’autorégulation.

Comme l’illustre l’annexe 1, outre les trois lignes directrices associées à chacun des principes de flexibilité, on retrouve également une série d’indicateurs, pour chacune des lignes directrices, visant à optimiser la participation à l’apprentissage de toutes les personnes qui composent la classe, indépendamment de la présence ou non de difficultés. Fait intéressant, alors que la mouture initiale plaçait les moyens d’engagement comme troisième principe dans la synthèse visuelle, ces derniers constituent, depuis 2018, le premier principe (annexes 2a et 2b) (Center for Applied Special Technology, 2018), un changement visant à illustrer que les trois principes sont importants pour soutenir l’apprentissage des personnes apprenantes, et que les moyens d’engagement ont autant d’importance que les deux autres principes, alors qu’ils accordent une attention particulière à la dimension affective de l’apprentissage. Enfin, le Center for Applied Special Technology (2018) ainsi que Rose et Meyer (2002) invitent à mobiliser les différentes lignes directrices associées à ces trois principes en réponse aux intentions d’apprentissage et aux besoins des personnes apprenantes. Ainsi, le fait de ne recourir qu’à un seul principe dans la planification de l’enseignement serait réducteur de la conception universelle de l’apprentissage.

Méthodologie de recherche

Pour répondre aux besoins de la Table régionale de l’éducation de la Mauricie, soit l’exploration de l’expérience scolaire des élèves de la région de même que les conditions susceptibles de contribuer à leur engagement au lendemain de la crise pandémique, j’ai opté pour une méthodologie de recherche qui mobilise la voix des personnes apprenantes, une posture de recherche tout à fait en adéquation avec l’étude de l’engagement scolaire, alors que « les jeunes sont les principaux bénéficiaires des programmes et politiques scolaires – ils sont ainsi des partenaires essentiels » sur les questions d’éducation (traduction libre d’Efuribe et al., 2020, p. 16).

Mobiliser la voix des personnes apprenantes sur la question de l’engagement scolaire

S’intéresser à la voix des personnes apprenantes (pupil voice) s’inscrit dans le grand courant des études et des approches qui reconnaissent l’importance de leurs voix sur des questions qui les concernent (le droit de se faire entendre), notamment le partage de stratégies visant à soutenir l’apprentissage en classe (Flutter, 2007). Plus récemment, des chercheuses et des chercheurs estiment que le recours à la voix des personnes apprenantes dans la recherche en éducation permet d’appréhender la complexité des rapports qui se vivent à l’école et gagne à mobiliser le message d’une diversité de personnes apprenantes avec ou sans limitations, avec ou sans défis langagiers, avec ou sans situations de vulnérabilité (Bolic Baric et al., 2016; Paxton, 2012).

Comme en témoigne le tableau 1, c’est dans cette posture qu’une collecte de données a été réalisée auprès de 21 groupes de discussion (94 élèves) sur le territoire de la Mauricie entre novembre 2021 et février 2022. Le groupe de discussion se traduit par la réunion d’un petit nombre de personnes participantes et d’une modératrice ou d’un modérateur afin d’examiner en détail un sujet précis (Fortin et Gagnon, 2015). Dans ce cas-ci, le groupe de discussion visait à mieux comprendre l’expérience scolaire des personnes participantes et à explorer les pistes de solutions les plus susceptibles de contribuer à leur engagement scolaire. Alors que j’agissais comme modératrice, une agente de recherche prenait soin de transcrire les principaux éléments de discussion sur des affiches apposées sur les murs de la salle de rencontre. Cette façon de procéder contribue à offrir un soutien visuel aux personnes participantes en plus des échanges verbaux qui ont cours. Les groupes de discussion ont également été enregistrés sur bande audio.

Les personnes participantes étaient âgées de 14 ans et plus, et seules celles de moins de 16 ans devaient obtenir l’autorisation écrite de leurs parents pour participer. Les petits groupes de discussion, d’une durée moyenne de 75 minutes (de 60 à 90 minutes par entretien), visaient à échanger autour de deux questions, soit : 1) Pourriez-vous me parler de votre expérience d’apprentissage en contexte pandémique (à distance; en hybride; retour en présence)? 2) À la lumière de tout ce qui vient d’être dit, qu’est-ce qui pourrait soutenir votre engagement scolaire? Quelles pistes aimeriez-vous partager avec les acteurs ou actrices de votre école?

Tableau 1

Personnes participantes à la collecte de données

Personnes participantes à la collecte de données

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Comme en témoigne le tableau 1, les personnes apprenantes participantes sont des hommes et des femmes, des élèves de 1er ou de 2e cycle du secondaire, avec ou sans défis particuliers, des personnes apprenantes de la formation générale des adultes, de la formation professionnelle, et de la formation collégiale préuniversitaire et technique. Ainsi, les personnes apprenantes représentent plusieurs contextes éducatifs et plusieurs réalités scolaires distinctes. La diversité de ces voix permet d’appréhender l’engagement scolaire dans une perspective tantôt transversale (ce qui est commun au discours de l’ensemble des personnes apprenantes) et tantôt spécifique (ce qui est propre au discours de l’ensemble des jeunes d’un contexte éducatif ou des jeunes avec ou sans défis).

Les entretiens de groupe ont été transcrits intégralement pour ensuite être traités à l’aide du logiciel NVivo 12. Une analyse qualitative inductive (Saldaña, 2021) des données a permis d’identifier des codes, des catégories de sens et des thèmes généraux de l’expérience scolaire des élèves, ainsi que des pistes de soutien susceptibles de contribuer à leur engagement et à leurs apprentissages. Dans le cadre de cet article, et afin d’offrir un traitement en profondeur des résultats, seuls les résultats entourant les pistes de solutions susceptibles de contribuer à l’engagement scolaire et à l’apprentissage en contexte d’enseignement secondaire au 1er et au 2e cycle sont exploités. Qui plus est, seules les stratégies en relation avec la conception universelle de l’apprentissage sont mobilisées. Ainsi, celles se rapportant à d’autres enjeux éducatifs – par exemple la santé mentale des élèves, l’orientation scolaire et à la vie scolaire – ne seront pas abordées.

Résultats de recherche

Avant d’en arriver à la présentation des résultats, qui met en relation les solutions proposées par les personnes participantes pour optimiser leur engagement et les principes de la conception universelle de l’apprentissage, il convient de préciser que j’utiliserai l’annexe 1 plutôt que l’annexe 2 dans la suite de ce texte, puisque chacune des lignes directrices et chacun des indicateurs y sont numérotés.

Des pistes de solutions pour accroître l’engagement des personnes apprenantes : quels liens avec la conception universelle de l’apprentissage?

Un nombre important de pistes de solutions visant à accroître l’engagement scolaire des élèves a été évoqué par les personnes apprenantes en contexte d’enseignement secondaire des 1er et 2e cycles, avec ou sans difficultés particulières en contexte scolaire. Nombre de ces stratégies peuvent être mises en relation avec les trois grands principes de la conception universelle de l’apprentissage. Ces stratégies abordent notamment le désir de construire son propre parcours éducatif selon ses champs d’intérêt; le désir de se sentir stimulé dans ses apprentissages; le désir de socialiser, de briser l’isolement et de développer de nouveaux liens d’amitié; le désir de développer son autonomie et son sens des responsabilités; et enfin, le désir de découvrir le monde, ses cultures et ses religions. Dans les lignes qui suivent, je présenterai d’abord les stratégies proposées par les jeunes pour ensuite mettre en relation ces stratégies et les trois principes de la conception universelle de l’apprentissage.

Le désir de construire son propre parcours éducatif selon ses champs d’intérêt

Les propos des élèves convergent vers l’intérêt d’offrir un plus grand éventail de cours à option ou de faciliter l’accès aux différentes concentrations pour susciter leur engagement scolaire.

L’offre accrue de cours optionnels vise à susciter l’intérêt des élèves pour l’école, notamment grâce à des cours de sport, de langues, de sciences, de musique, d’arts ou d’art dramatique. Qui plus est, les élèves souhaiteraient une plus grande flexibilité d’accès aux concentrations offertes dans certains milieux scolaires. Trop souvent, ces concentrations sont accessibles sur la base de résultats scolaires. Ce faisant, ceux qui vivent des difficultés scolaires sont trop souvent incapables d’accéder à des contenus de cours qui les intéressent ou qui mobilisent certaines forces. Les élèves suggèrent également que les concentrations ou les options soient offertes dans une formule flexible. Ainsi, les concentrations pourraient être modifiées d’une année à l’autre (favoriser la découverte de nouveaux champs d’intérêt, toucher à plusieurs domaines d’intérêt), et les cours optionnels pourraient être modifiés une fois l’an, voire deux fois par année, toujours dans le but de découvrir de nouveaux champs d’intérêt ou de favoriser l’exploration de plusieurs domaines.

Le désir de se sentir stimulé dans ses apprentissages

Les propos des élèves des 1er et 2e cycles du secondaire, avec et sans difficultés particulières, convergent vers le désir de se sentir stimulés dans leurs apprentissages pour ainsi être plus engagés. Les suggestions faites en ce sens sont nombreuses.

D’une part, certaines suggestions portent sur la grande catégorie de la relation enseignant-élève. En effet, se sentir stimulé dans ses apprentissages reposerait notamment sur une relation « humaine » entre le personnel enseignant et la personne apprenante, et entre le personnel enseignant et le groupe-classe. Cette relation serait également caractérisée par un certain dynamisme chez le personnel enseignant, voire une approche positive dans l’enseignement.

D’autre part, d’autres suggestions portent sur la grande catégorie de la différenciation pédagogique. Ainsi, les élèves invitent le personnel enseignant à éviter l’enseignement magistral sur une longue durée, à enrichir la matière enseignée pour les élèves qui manifestent plus de facilité, notamment en offrant la possibilité d’aller plus loin dans les apprentissages, à intégrer des activités ou des exercices adaptés aux besoins spécifiques de certains élèves sans pour autant se centrer seulement sur les élèves qui éprouvent des difficultés, et à recourir à du matériel varié dans l’enseignement d’une même connaissance ou compétence (par exemple en recourant certes à des cahiers d’exercices, mais également à des vidéos, à du matériel pédagogique diversifié, à des logiciels, etc.).

Les élèves du secondaire (et de la formation générale des adultes) estiment également que leur engagement scolaire est optimisé lorsque le personnel enseignant mobilise une diversité d’approches pédagogiques, notamment l’apprentissage par projets, l’apprentissage hors des murs de l’école (en plein air, par exemple) ou dans des locaux différents, le travail de groupe ou collaboratif entre pairs, le jeu de rôles ainsi que les débats et les discussions de groupe au cours desquels les personnes apprenantes ont la possibilité de partager leur opinion et d’argumenter sur la question.

Enfin, des suggestions sont formulées sur l’importance de faire des liens entre la matière enseignée et les connaissances et compétences « utiles » pour la vie en société.

Le désir de socialiser, de briser l’isolement et de développer de nouveaux liens d’amitié

Les personnes apprenantes du secondaire estiment que des stratégies qui convergent vers la socialisation entre pairs sont porteuses d’engagement scolaire. Outre celles qui concernent la vie étudiante dans l’établissement scolaire, les élèves estiment que la formation d’équipes de travail aléatoires pour réaliser les travaux, la valorisation de l’entraide en classe et l’aménagement physique d’espaces facilitant le partage entre pairs sont à promouvoir.

Le désir de développer son autonomie et son sens des responsabilités

Les élèves du secondaire estiment que leur participation à la prise de décision contribue à leur engagement scolaire, notamment en soutenant le développement de leur autonomie et en favorisant le développement de leur sens des responsabilités. Ils invitent donc le personnel enseignant à incorporer au bon fonctionnement de l’école et de la classe des structures décisionnelles composées de représentants d’élèves de tous les niveaux scolaires, et ce, avec ou sans défis particuliers. Les élèves évoquent aussi leur intérêt à contribuer à la mise sur pied, voire à exercer un certain leadership dans les activités qui leur sont proposées. Enfin, ils encouragent les membres du personnel enseignant à exprimer clairement leurs attentes à l’égard du travail à réaliser et du fonctionnement du groupe-classe.

Le désir de découvrir le monde, ses cultures et ses religions

L’engagement scolaire des élèves du secondaire passerait également par des liens explicites entre le curriculum et le monde d’aujourd’hui. À cet égard, plusieurs suggestions sont partagées, notamment l’intégration d’activités interculturelles et l’approfondissement des contenus se rapportant aux différentes cultures, ainsi que la mise en relation du curriculum et des sujets d’actualités, voire des questions vives en éducation (par exemple l’environnement, les changements climatiques, les mouvements Black Lives Matter, #MeToo, etc.). Les élèves précisent toutefois que l’exposition à ces contenus mérite d’être abordée sans jugement de la part du personnel enseignant (posture neutre).

Discussion

Les résultats de cette étude qualitative mobilisant la voix des personnes apprenantes sur la question de l’engagement scolaire m’interpellent particulièrement pour les trois raisons suivantes. La première raison renvoie aux propos des élèves du secondaire, avec et sans difficultés, qui mettent clairement en évidence la nécessité d’adopter des approches pédagogiques flexibles et universelles, en ce sens que tant les élèves qui vivent de la facilité à l’école que ceux qui y vivent des difficultés revendiquent la possibilité de naviguer en fonction de leur réalité dans le cursus scolaire, avec l’ensemble du groupe. Dès lors, l’exploitation des principes, des lignes directrices et des indicateurs de la conception universelle de l’apprentissage dans la planification de l’enseignement me semble judicieuse pour les personnes enseignantes qui souhaitent planifier pour une diversité de personnes apprenantes. Dans cet esprit, tant le grand courant de l’inclusion scolaire que le modèle de la conception universelle de l’apprentissage reconnaissent la légitimité de la diversité en éducation (Bartz et Bartz, 2018; Prud’homme et al., 2011). Pour Bartz et Bartz (2018), la conception universelle de l’apprentissage constitue une voie à privilégier pour gérer la diversité en classe, alors que pour Rousseau (2015), elle constitue une voie à privilégier pour optimiser la participation à l’apprentissage de tous les élèves qui composent la classe en contexte inclusif. Sachant que les élèves qui participent à l’apprentissage, qui vivent des émotions positives à travers cette participation[1], qui gagnent en confiance et qui reconnaissent leur part de responsabilité dans le processus d’apprentissage sont plus engagés (Espinosa, 2016), il me semble que la conception universelle de l’apprentissage propose un coffre d’outils prometteur à toutes les personnes enseignantes par son regard multifactoriel sur l’apprentissage et la synergie manifeste entre ses trois principes de flexibilité.

La deuxième raison repose sur l’ouverture des élèves participants à l’égard des différents enjeux de société, notamment l’environnement, les changements climatiques et les mouvements Black Lives Matter et #MeToo, et leur désir de mieux comprendre une diversité de cultures. Certes, on reconnaît ici l’importance de faire des liens entre le curriculum prescrit et la vie telle qu’elle se vit à l’extérieur des murs de l’école – apprentissages signifiants ou authentiques (voir p. ex. Dipace, 2011; Vienneau, 2017). Cela dit, sans être une experte de la sociologie, ces résultats pointent, il me semble, vers une soif d’apprendre grandissante de cette génération d’élèves sur la société dans toute sa complexité. Cette réflexion résulte d’un regard rétrospectif sur mes vingt dernières années de recherche auprès des jeunes. Jamais cette thématique n’aura été aussi présente que dans cette étude. Ainsi, je crois que les propos des élèves participants constituent une belle invitation pour le personnel enseignant à s’intéresser à la mobilisation des thèmes délicats en classe (voir p. ex. Audet et al., 2018; Groleau et Pouliot, 2015; Hirsch et Audet, 2019). Le traitement de ces thèmes en contexte scolaire, avec une certaine neutralité de la part du personnel enseignant – rappellent les élèves –, s’inscrit tout à fait dans l’esprit de la conception universelle de l’apprentissage, qui reconnaît la diversité comme un fait selon lequel la classe est toujours plus diversifiée (Capp, 2017; Coppola et al., 2019) et selon lequel un rapport positif à cette diversité devrait être une prémisse (Ébersold, 2019).

Enfin, la troisième raison renvoie à la portée de la voix des personnes apprenantes dans la résolution de problèmes en contextes éducatifs. Pour Beaudoin (2008), l’engagement scolaire des élèves est largement favorisé lorsque le personnel enseignant et la direction d’établissement consultent explicitement leurs élèves tant sur des décisions qui peuvent les affecter en classe que sur d’autres décisions qui peuvent les affecter à l’école. Dans le même esprit, Flutter (2007) reconnaît en la voix des personnes apprenantes une source importante d’informations sur les stratégies à mobiliser en classe pour soutenir leurs apprentissages. Dans le cadre de cette étude, non seulement les jeunes (avec ou sans difficultés particulières) ont été en mesure d’offrir une variété de stratégies qu’ils associent à leur engagement scolaire, mais ils ont également manifesté leur désir de porter toujours plus loin leurs voix à l’école et, ainsi, d’exercer un certain leadership. Il appert donc que la conception universelle de l’apprentissage constitue une approche favorable et en parfaite cohésion avec la voix des personnes apprenantes dans laquelle ces dernières sont invitées à prendre des décisions sur différentes options d’accès à l’information (représentation – principe I), de moyens d’actions et d’expression (principe II), et de moyens d’engagement (principe III). Fidèle aux différents courants de recherche – qui, toujours plus, sollicitent la voix des personnes apprenantes non seulement en matière d’information, mais également en matière de coanalyse ou de corédaction de résultats de recherche (voir p. ex. la synthèse de Rousseau et al., 2022) –, j’ose inviter le personnel enseignant à mobiliser la voix des personnes apprenantes dans certaines réflexions entourant la planification de l’enseignement pour une diversité d’élèves, non pas en matière de curriculum à mobiliser – curriculum dont les membres du personnel enseignant sont les experts –, mais plutôt en matière de stratégies à mobiliser susceptibles de susciter toujours plus leur participation à l’apprentissage et, ultimement, leur engagement.

Conclusion

Ce texte s’inscrit dans une démarche de recherche visant à entendre la voix des personnes apprenantes sur les stratégies les plus susceptibles de contribuer à leur engagement scolaire, sachant que les dernières années pandémiques ont altéré le rapport à l’école pour plusieurs. Suivant l’analyse qualitative des propos partagés, une mise en relation des stratégies évoquées par les élèves avec les principes, les lignes directrices et les indicateurs de la conception universelle de l’apprentissage a permis de mettre en évidence le fait que les suggestions des personnes apprenantes s’inscrivent naturellement dans l’esprit de cette conception. Qui plus est, les élèves ont manifesté un vif intérêt pour les thèmes épineux en éducation et pour l’exploration d’une diversité de champs d’intérêt, indépendamment de la présence ou non de difficultés, en plus d’inviter le monde scolaire à solliciter leurs voix en contexte scolaire.

Certes, la nature qualitative de la recherche ne permet pas une généralisation des résultats. Cela dit, elle invite l’ensemble des membres du personnel enseignant à mobiliser la voix des élèves qui composent leurs classes pour optimiser leur engagement scolaire et transcender les différences qui se vivent en classe par la mise en place d’espaces de collaboration entre pairs, ainsi qu’entre pairs et adultes.