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INTRODUCTION

Cet article se penche sur certaines questions qui ont animé le 8e Symposium du GIRA tenu à l’automne 2018 : quelles sont les conditions de la recherche en archivistique ? Sous quelles conditions est réalisée cette recherche ? Par quels acteurs ? Quel portrait peut-on dresser d’un chercheur en archivistique ? Et dans un contexte d’académisation de la recherche en archivistique, quel rôle jouent les institutions nationales ? Nous nous intéressons ici surtout au rôle de l’institution où nous oeuvrons depuis plus de 25 ans, Bibliothèque et Archives Canada (BAC)[1].

Commençons par jeter un regard en arrière. Lors du premier Symposium du GIRA en 1990, l’Archiviste national du Canada à l’époque, M. Jean-Pierre Wallot, a dressé le bilan de l’aide apportée par les Archives nationales du Canada (ANC) à la recherche en archivistique, qui touche aux aspects suivants :

  1. La recherche appliquée (besoins en matière de locaux ; gestion des documents gouvernementaux ; intégration des systèmes de contrôle ; capacité numérique ; plan de conservation/techniques de conservation ; plan des acquisitions ; plan de l’accès et du contrôle – planification pour un nouveau système (MIKAN), etc. ;

  2. Les ANC et la diffusion des résultats de la recherche en archivistique (Centre canadien d’information et de documentation en archivistique ; programme de publications ; bulletins de nouvelles, etc.) ;

  3. Les ANC et le support logistique à la recherche en archivistique : conseils, participation aux comités (p. ex., normes de description), rédaction ou édition dans les revues savantes, présentation de communications, programmes de recherche parrainés par les universités, enseignement, participation à l’organisation de colloques ;

  4. La formation, y compris un cours d’été en archivistique ;

  5. Le parrainage d’événements à haute teneur scientifique ; et finalement ;

  6. La création d’un contexte de coopération et de partage des responsabilités.

M. Wallot a présenté toute une gamme d’activités reliées à la recherche entreprises par les ANC, il y a presque 30 ans. À la lecture de ce bilan d’activités, il est évident que BAC a aujourd’hui changé de cap (et que la technologie a bouleversé l’environnement). Le Centre canadien d’information et de documentation en archivistique n’existe plus. Nos publications se limitent à notre site Web et nous ne publions plus (ou très rarement) de livres. Nous n’offrons plus de formation à l’externe : BAC s’est retirée du champ de la formation initiale qui est laissée aux universités (qui sont, par ailleurs, bien plus compétentes que nous dans ce domaine) et aux associations archivistiques qui offrent des cours plus spécialisés.

Nous nous concentrons ici sur le premier aspect soulevé par M. Wallot : les dimensions de la recherche appliquée à BAC. Et, sauf le respect que nous lui devons, nous abordons la question de la recherche à BAC d’un autre angle en constatant que la recherche est au centre du travail contemporain de l’archiviste (Wallot, 1990, p. 275-292)[2].

Pour faire cette réflexion, nous proposons premièrement un survol des objectifs et des contraintes des institutions publiques telles que BAC, en ce qui concerne le soutien accordé à la recherche. S’ensuit une description des domaines de recherche visés par BAC. Troisièmement, nous présentons une étude de cas sur la participation de longue date de BAC à InterPARES et à ITrust et ses retombées sur la collaboration avec les chercheurs universitaires. En guise de conclusion, nous proposerons quelques observations qui découlent de nos constats.

1. Survol des objectifs et des contraintes des institutions publiques telles que BAC

Les activités des institutions gouvernementales sont encadrées par les lois et les politiques pertinentes. Dans le cas de BAC, bien sûr, la plus importante de ces lois est la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada. Le gouvernement du Canada a créé BAC en 2004. La loi mentionne succinctement la mission de l’institution et le préambule en fait le résumé :

Attendu qu’il est nécessaire :

  1. que le patrimoine documentaire du Canada soit préservé pour les générations présentes et futures ;

  2. que le Canada se dote d’une institution qui soit une source de savoir permanent accessible à tous et qui contribue à l’épanouissement culturel, social et économique de la société libre et démocratique que constitue le Canada ;

  3. que cette institution puisse faciliter au Canada la concertation des divers milieux intéressés à l’acquisition, à la préservation et à la diffusion du savoir ;

  4. que cette institution soit la mémoire permanente de l’administration fédérale et de ses institutions […]. (Gouvernement du Canada, 2019).

Que disent les politiques du gouvernement du Canada concernant la recherche publique ? Elles relèvent surtout de la diffusion de la recherche. Ainsi, la Politique sur les communications et l’image de marque (2016) appelle les institutions du gouvernement du Canada à fournir aux Canadiens des renseignements opportuns, clairs, objectifs, factuels et non partisans. La Directive sur le gouvernement ouvert :

a pour objet de maximiser la communication de l’information et des données gouvernementales à valeur opérationnelle afin d’appuyer la transparence, la reddition de comptes ainsi que la mobilisation des citoyens et d’optimiser les avantages socioéconomiques au moyen de la réutilisation, sous réserve des restrictions s’appliquant à la protection de la vie privée, à la confidentialité et à la sécurité.

Gouvernement du Canada, 2014

De plus, un protocole d’entente a été signé le 1er juin 2017 entre le Conseil du trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, en ce qui concerne l’intégrité scientifique (Secrétariat du Conseil du trésor du Canada, 2018).

Mais voici une contrainte importante : d’après le Code de valeurs et d’éthique du secteur public (2011), les fonctionnaires ont un devoir de loyauté envers leur employeur, le gouvernement du Canada. Ce devoir découle de la mission essentielle de la fonction publique, soit d’aider le gouvernement à servir l’intérêt public et à mettre en oeuvre des politiques gouvernementales et des décisions ministérielles. À cela s’ajoute la Politique sur la sécurité du gouvernement (2012) du Conseil du trésor qui impose des responsabilités particulières aux fonctionnaires en matière de protection de l’information[3]. Le contexte gouvernemental encadre donc la recherche dans les institutions gouvernementales et risque parfois de limiter la capacité des chercheurs gouvernementaux à partager leurs projets de recherche.

Il existe une autre perspective sur la recherche dans les institutions gouvernementales : celle de la haute gestion. Pour les gestionnaires de BAC, la question fondamentale est la suivante : dans le contexte de notre mandat, quelle est la manière la plus efficace d’investir le budget annuel que les Canadiens nous confient et quelle position devrait occuper le soutien à la recherche dans cet investissement ? Les chercheurs et la gestion ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde à ce sujet.

2. Domaines de recherche visés par BAC

En milieu universitaire, la recherche désigne normalement un projet mené sur le long terme, qui explore une question en profondeur et qui vise à produire une publication (ou un rapport), généralement évaluée par un comité de lecture formé d’experts du domaine. Cette recherche reflète, la plupart du temps, un lien solide avec les publications spécialisées. Il s’agit de créer de nouvelles connaissances sans qu’elles aient nécessairement des applications directes et concrètes sur la conduite des opérations d’une organisation. Au sein des institutions publiques, en revanche, le contexte de recherche est différent. La réflexion suivante s’impose alors : en quoi consiste la recherche à BAC ?

Dans une institution comme BAC, la recherche compte trois dimensions : la recherche opérationnelle (recherche continue nécessaire au travail d’archiviste) ; la recherche qui soutient l’élaboration de politiques et des programmes publics de l’institution ; et finalement, la création d’une culture de recherche. Il va sans dire que la première dimension est de loin la plus importante en ce qui concerne l’implication de nos ressources.

À BAC, la recherche opérationnelle est en grande partie du ressort des archivistes, c’est-à-dire environ 10 % des employés. Au gouvernement du Canada, les archivistes sont regroupés parmi les autres chercheurs :

Le groupe Recherche comprend les postes qui sont principalement liés à l’application d’une connaissance approfondie de spécialités scientifiques et professionnelles à la planification, à la réalisation, à l’évaluation et à la gestion d’activités de recherche fondamentale, d’élargissement des connaissances, de développement de la technologie et d’innovation liées aux sciences militaires, à la recherche historique, à l’archivistique, aux mathématiques et aux sciences naturelles.

Secrétariat du Conseil du trésor du Canada, 2015

Les attentes envers les archivistes employés à BAC sont grandes. Typiquement, l’archiviste est gestionnaire d’un portefeuille de fonds similaires. Un archiviste qui travaille du côté des archives gouvernementales, par exemple, peut être responsable des fonds de tous les ministères et agences qui relèvent de l’immigration, de la justice, des relations internationales ou des Premières Nations. Son homologue archiviste dans le secteur des archives privées peut avoir la responsabilité par exemple de développer les collections dans le domaine de la musique, de la photographie, de l’environnement, ou de l’économie en négociant avec les agents clés dans ces domaines pour l’acquisition de leurs archives.

L’expertise de l’archiviste de portefeuille se décline en plusieurs volets, le plus important étant une connaissance approfondie des archives dans son domaine de responsabilité, y compris les dimensions suivantes :

  • Authenticité – ce qui permet de considérer un fonds comme authentique ;

  • Contenu – ce que dit ou montre un document, sa signification, ce qu’il pourrait permettre de conclure, de supposer, de prouver, à la lumière des connaissances et des tendances sociales dans le monde ; comment il a été interprété dans le passé et comment il est interprété à présent ; la valeur du fonds pour documenter le Canada ;

  • Contexte – connaissance du contexte de la création des documents par rapport à l’administration publique (y compris les systèmes de gestion des archives historiques et courantes), aux organisations privées ou à la vie privée ainsi qu’à la société en général ; utilisation des documents au fil du temps ; connaissance des liens entre les groupes/créateurs dans un domaine de recherche ; liens vers d’autres documents ou séquences dans les fonds de BAC ou à l’externe, y compris les documents sur différents supports ; connaissance des copies identiques ou non identiques ;

  • Provenance – connaissance de l’origine d’un document et de son créateur, l’historique de sa conservation, sa méthode d’acquisition par BAC et les modifications apportées à sa conservation après son acquisition ;

  • Valeur marchande des archives – passée, actuelle ou future ;

  • Format et attributs physiques – connaissance des fonds dans un format particulier ; capacité de comprendre l’importance de la forme dans la création et l’utilisation d’un document ; importance des attributs physiques ;

  • Découvrabilité/repérabilité – ce que nous détenons, si nous le détenons, là où il est susceptible d’être fondé sur une connaissance approfondie du contexte, du contenu et de la provenance, selon la définition ci-dessus ; traditions de classement et de description ; comment s’orienter dans les systèmes, les bases de données, les instruments de recherche papier de BAC (les systèmes de BAC pouvant être complexes, très organiques, marqués par des exceptions) ;

  • Disponibilité (restrictions relatives aux donateurs et à la loi sur l’accès à l’information) ;

  • Accessibilité (droit d’auteur, questions de conservation à considérer pour permettre la consultation, etc.) ;

  • Langue et terminologie – compétences linguistiques pour les documents qui ne sont pas en anglais ou en français ; utilisation du latin dans les documents juridiques ou ecclésiastiques ; capacité de « lire » les documents non textuels ; terminologie propre à une certaine époque ou à un certain domaine[4].

Les gens convoitent ainsi un poste d’archiviste, non pas parce que le travail est simple, mais au contraire parce qu’il est très exigeant.

Il faut maintenant souligner que la recherche à BAC n’est pas dictée uniquement par les impératifs liés à l’avancement général des connaissances en archivistique. La direction de BAC assigne des projets de recherche à son équipe composée d’une centaine d’archivistes. Ceux-ci doivent généralement évaluer des archives ou donner leur avis sur des acquisitions. Il peut s’agir d’évaluation à caractère historique ou archivistique, d’élaboration de systèmes, de projets descriptifs ou de divers conseils spécialisés.

Les projets de recherche peuvent être très diversifiés. Par exemple, comme nous l’avait appris Terry Cook du temps des anciennes Archives nationales du Canada, la décision archivistique la plus importante consiste à déterminer s’il faut conserver un document ou non (archival appraisal/évaluation des documents). Prenons un cas concret : comment BAC répond-elle à son mandat de préserver la mémoire du ministère de la Défense nationale et des quelque 175 autres institutions fédérales dont elle est dépositaire des archives ? Quels documents faut-il conserver, sur quels supports, créés dans le cadre de quelles fonctions et de quelles activités ?

Voici d’autres exemples de projets et questions de recherche auxquels peuvent faire face les archivistes :

  • Quel est ce document ?

  • Vu l’intérêt de BAC pour l’acquisition de documents provenant du système de gestion électronique des documents et des dossiers du gouvernement du Canada, quels sont les éléments de métadonnées qu’elle doit recueillir auprès des institutions gouvernementales ?

  • Compte tenu des lois et des politiques canadiennes, dans quelles circonstances un nuage informatique pourrait-il potentiellement servir d’espace de stockage numérique à long terme ?

  • Les 50 000 $ que demande ce marchand en échange d’une carte de la Nouvelle-France datant du XVIIe siècle sont-ils justifiés ?

  • Le président des États-Unis vient faire un tour chez nous. Quels documents seraient susceptibles de l’intéresser durant sa visite du Centre de préservation de Gatineau [5] ?

Un deuxième domaine de recherche est lié à l’élaboration de politiques publiques. Les priorités de BAC en 2018-2019 étaient les suivantes : la gestion de l’accès des documents et les meilleures pratiques pour les consultations des documents autochtones ; l’unification numérique (le rapatriement virtuel des documents coloniaux) ; l’acquisition de documents gouvernementaux (incluant replevin[6]) ; l’expérience des utilisateurs ; l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique ; la valeur des GLAM (Galleries, Libraries, Archives, and Museums) ; et les mécanismes pour la génération de revenus (Bibliothèque et Archives Canada, 2018).

La recherche relevant de l’initiative personnelle des archivistes peut aussi contribuer pour beaucoup à la conception et à la mise en oeuvre des programmes. Créer une culture de recherche, c’est encourager les archivistes à participer à des congrès, à des symposiums, et à publier dans les revues scientifiques. Mentionnons l’exemple de la macro-évaluation des documents gouvernementaux, une approche élaborée aux ANC par un savant mélange de réflexions pilotées par la direction et des chercheurs talentueux de l’institution (Terry Cook, Rick Brown, Cathy Bailey, Brian Beaven) qui y ont travaillé de leur propre initiative. Ces travaux ont donné lieu à plusieurs communications et publications. Plus récemment, Renaud Séguin, Émilie Létourneau, Jenna Smith et Rebecca Giesbrecht (évaluation des documents gouvernementaux), Robert Nahuet (respect de fonds à l’ère numérique), David Rajotte (archivistique numérique), Rob Fisher (archives privées) et Catherine Hobbs (archives personnelles et littéraires) ont publié de leur propre chef des articles dans des revues scientifiques ou ont fait des présentations devant un parterre de spécialistes à l’extérieur de BAC. Grâce à ce travail, ces chercheurs influencent les programmes de BAC. Il y a plusieurs très bons archivistes qui ne publient jamais d’articles. Mais idéalement, BAC (comme les autres institutions d’archives) crée un milieu qui motive les employés à faire de la recherche et à publier des articles de leur propre chef, souvent pendant leurs temps libres.

En quoi donc consiste la recherche à BAC ? Dans une grande institution publique comme celle-ci, la recherche passe généralement par la collecte de données ou le développement d’argumentaires pour étayer une décision. C’est ce qu’on appelle la recherche appliquée. Elle peut s’étaler sur plusieurs mois ou être limitée, ciblée et soumise à des délais très serrés. La recherche du secteur public est mandatée par la direction plutôt que d’être motivée uniquement par l’avancement des connaissances. Elle répond à un besoin précis de l’institution. Parallèlement, les archivistes peuvent aussi mener leurs propres recherches hors du bureau, lesquelles peuvent parfois déboucher sur des résultats applicables immédiatement aux opérations de leur organisation.

3. Participation de BAC à de grands projets de recherche

BAC participe aussi à de grands projets de recherche universitaire. Dans certains cas, elle le fait tout simplement pour rendre service et contribuer à la réflexion entourant les métiers d’archiviste, de bibliothécaire, de gestionnaire de l’information et de restaurateur. En règle générale, son objectif est de soutenir la recherche censée aboutir à des retombées concrètes pour les fonctions de BAC. L’exemple le plus marquant est sa participation dans InterPARES et ITrust[7].

3.1. InterPARES 1 : 1998-2001

Lancé en 1998, le projet intitulé « International Research on Permanent Authentic Records in Electronic Systems », ou « InterPARES », s’échelonnait sur plusieurs phases. La première phase, qui s’est terminée en 2001, était axée sur les documents textuels nés numériques qui étaient devenus inactifs. Elle s’inscrivait dans la lignée d’un autre projet de recherche universitaire (le « UBC Project », de 1994 à 1997) qui visait à préserver l’authenticité des documents électroniques actifs et semi-actifs. Réalisé à la School of Library, Archival and Information Studies de l’Université de la Colombie-Britannique, le projet visait à bâtir « les connaissances essentielles à la préservation à long terme des documents authentiques créés ou conservés sous forme numérique » et à jeter les bases « des normes, des politiques, des stratégies et des plans d’action capables d’assurer la longévité de ces documents et leur authenticité aux yeux des utilisateurs » (notre traduction)[8].

Parmi les chercheurs du projet InterPARES 1, il y avait des universitaires, mais aussi des représentants d’entreprises, du secteur privé et des institutions archivistiques comme les ANC. L’équipe de recherche comptait aussi des personnes d’autres pays : États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Chine et Hong Kong, France, Irlande, Italie, Pays-Bas, Suède et Portugal. Quatre groupes de travail ont effectué de la recherche et de l’analyse, respectivement sur l’authenticité, l’évaluation et la préservation des documents, de même que sur les principes de base des politiques, stratégies et normes reliées à la préservation des documents. Les archivistes des ANC ont beaucoup contribué au travail des trois premiers groupes[9].

Au-delà du financement du projet et du soutien logistique en nature, les ANC ont soutenu la participation des archivistes aux groupes de travail, à la recherche et à la rédaction des rapports finaux du projet et de la publication The Long-term Preservation of Authentic Electronic Records : Findings of the InterPARES Project (Duranti, s. d.). Dans le rapport final du projet, la contribution des ANC a été soulignée : son personnel « a réalisé des études de cas, diffusé les résultats de la recherche, formulé régulièrement des commentaires et enrichi les ateliers de recherche de son expérience » (notre traduction). Les chercheurs des ANC ont fait preuve d’une créativité et d’une détermination « indéfectibles » quand il s’agissait de collaborer à l’échelle internationale (Duranti, s. d.).

3.2. InterPARES 2 : 2002-2007

Ce projet visait à s’attaquer au problème de la préservation permanente de documents numériques fiables, exacts et authentiques créés et conservés au sein de systèmes interactifs et dynamiques dans le cadre de toutes sortes d’activités humaines, notamment celles du gouvernement et du « cybergouvernement ». Il était motivé par des intérêts archivistiques, mais conçu selon le principe suivant : pour préserver les documents, il faut comprendre les activités qui en sont à l’origine ainsi que leur fonction et leur utilisation dans ce contexte. Le projet inscrivait le cycle de vie d’un document dans un modèle global de chaînes de préservation partant de la conception des systèmes et faisant intervenir diverses disciplines et divers spécialistes.

InterPARES 2 visait à formuler les concepts, les principes, les critères et les méthodes permettant la création et la tenue de documents exacts et fiables, et la préservation à long terme de documents authentiques dans le contexte des activités artistiques, scientifiques et gouvernementales menées au moyen de technologies informatiques empiriques, interactives et dynamiques (qui comportent leur lot de problèmes : manipulabilité et incompatibilité des systèmes numériques, obsolescence technologique, fragilité des supports, etc.).

Les activités gouvernementales représentaient un domaine d’étude (aux côtés des activités artistiques et des activités scientifiques). Il y avait trois volets de recherche : 1. création et tenue des documents ; 2. fiabilité, exactitude et authenticité des documents ; et 3. évaluation et préservation des documents. Il y avait également quatre dimensions « transversales » : 1. terminologie ; 2. politique ; 3. description ; et 4. modélisation.

Le principal objectif du projet était de nature archivistique, mais d’après InterPARES 1, « les problèmes posés par la préservation numérique ne pourraient être réglés dans le cadre d’une démarche strictement disciplinaire » (Duranti, 2007, p. 115, notre traduction). Par conséquent, les spécialistes des documents et de l’information (entre autres des ANC/de BAC) ne représentaient qu’un tiers de l’équipe de recherche d’InterPARES 2. Les deux tiers restants étaient des spécialistes de diverses disciplines artistiques et scientifiques, eux-mêmes intéressés par les résultats du projet.

Le rôle des ANC se limitait à une contribution en temps et en aide financière accordée aux archivistes pour leur permettre de présider et de coprésider les groupes de recherche de l’équipe internationale, de se joindre aux équipes de recherche nationales et multinationales, et de rédiger les livrables et les rapports du projet, ainsi que le livre international Research on Permanent Authentic Records in Electronic Systems (InterPARES) 2 : Experiential, Interactive and Dynamic Records (Duranti et Preston, 2008).

3.3. InterPARES 3 : 2007-2012

Le titre officiel de la troisième phase du projet InterPARES, ou « InterPARES 3 », était le suivant : « Theoretical Elaborations into Archival Management (TEAM) : Implementing the theory of preservation of authentic records in digital systems in small and medium-sized archival organizations » (« de l’élaboration théorique à la gestion archivistique : mise en pratique de la théorie de préservation de documents authentiques dans des systèmes numériques à l’échelle de petites et de moyennes organisations d’archivage » (InterPARES 3 Project, 2007-2012, notre traduction).

Ce projet avait un objectif pragmatique : transformer la théorie et les méthodes de préservation mises au point dans le cadre d’InterPARES et des autres projets de recherche en plans d’action concrets pour permettre l’archivage à long terme des documents numériques. Axé sur l’adaptabilité, il visait à permettre les activités d’archivage de petite et de moyenne envergure. Il comprenait l’élaboration de modules d’enseignement pour les programmes de formation interne, les ateliers de formation continue et les programmes universitaires.

Il a permis de bâtir des connaissances détaillées sur : 1. la manière dont la théorie et les méthodes générales peuvent être mises en application dans les unités et centres d’archives de petite et moyenne envergure et se transformer en pratiques efficaces ; 2. les facteurs qui déterminent le type de mise en oeuvre qui convient à chaque groupe de documents dans chaque contexte ; et 3. les compétences qu’il faudra avoir pour effectuer ce type d’activités.

Le projet a aussi permis de développer des modules d’enseignement pour les programmes de formation interne, les ateliers de formation continue et les programmes universitaires. Grâce à ces modules, les spécialistes acquièrent les compétences nécessaires non seulement pour préserver à long terme le patrimoine documentaire de la société sous forme numérique, mais aussi pour garantir la responsabilité des organisations et des institutions en protégeant l’exactitude et l’authenticité de l’information numérique qu’elles produisent. Le rôle de BAC s’est limité à l’observation.

3.4. InterPARES Trust (ITrust) : 2013-2018

Depuis 2013, et jusqu’en 2018, InterPARES Trust (ITrust) a pris la relève du projet InterPARES. Ce projet, qui s’inscrit dans la lignée d’InterPARES, vise à étudier les problèmes entourant les documents et les données numériques versés sur Internet. Son objectif est de produire des cadres théoriques et méthodologiques pour élaborer des politiques, des règlements, des normes et des lois à l’échelle locale, nationale et internationale afin d’instaurer une bonne gestion et une économie numérique solide et durable, et de garantir ainsi la confiance du public (InterPARES Trust, 2018). Parmi ses partenaires, il compte plus de 70 institutions à l’échelle mondiale et plus de 300 chercheurs et assistants de recherche des cycles supérieurs.

BAC est devenue partenaire du projet en 2013 dans le cadre de l’équipe régionale nord-américaine. Le temps que son personnel consacre à la recherche et à la préparation des livrables est considéré comme une contribution non financière. BAC contribue activement aux projets de recherche sur les conséquences du gouvernement ouvert, des données ouvertes et des mégadonnées sur la gestion des documents numériques en ligne ; la préservation au service de la confiance (PaaST) ; les exigences de conception (métadonnées, par exemple) pour garantir l’authenticité des documents dans le nuage informatique et dans différents contextes ; et la disposition et la description des documents dans l’infonuagique.

Quels sont les avantages de cette participation pendant vingt ans aux projets InterPARES pour BAC ? Ils sont nombreux. InterPARES a placé les archivistes de BAC à l’avant-plan de la recherche scientifique, tout en leur permettant de contribuer en tant que spécialistes à l’élaboration de produits de recherche reconnus à l’échelle internationale. Il a permis à BAC d’approfondir ses connaissances numériques. Les professionnels de BAC ont enrichi leur savoir-faire et acquis des compétences aux côtés de confrères d’autres pays et d’autres disciplines, et d’universitaires représentant différents domaines d’études pertinents. BAC a pu mieux comprendre l’emploi de la technologie dans la préservation numérique (stockage dans le nuage informatique). BAC a pu mieux connaître les principaux facteurs politiques, les pratiques et les compétences nécessaires pour garantir l’authenticité des documents numériques et mettre en oeuvre des stratégies, des plans et des programmes efficaces de préservation numérique. InterPARES offre une base de recherche solide sur le plan intellectuel pour gérer la tenue de documents en cette ère de gouvernement ouvert, où il est primordial d’assurer la fiabilité des documents pour que les citoyens aient confiance en l’État.

Toutes les phases du projet InterPARES étaient le fruit du travail collaboratif de plusieurs équipes régionales, nationales et multinationales. Sa participation a permis aux ANC et à BAC de travailler aux côtés de parties prenantes provenant aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur de l’appareil gouvernemental, et représentant diverses disciplines comme la gestion de l’information et les technologies de l’information, dans le but de s’attaquer aux effets de l’incompatibilité des systèmes numériques, de l’obsolescence technologique et de la fragilité des supports sur la création et la tenue de documents exacts et fiables et la préservation à long terme de documents numériques authentiques.

InterPARES a permis d’aboutir à divers produits, par exemple : des exigences de base pour l’évaluation et la tenue de documents électroniques authentiques ; des cadres conceptuels et stratégiques pour l’établissement de politiques, de stratégies et de normes concernant les documents numériques ; des ressources de formation ; des modèles, etc. Tous ces produits peuvent guider BAC dans ses stratégies de préservation d’archives numériques à long terme.

À l’avenir, est-ce que la collaboration avec les universités est au programme ? Étant donné que BAC et les universités partagent un mandat pour la recherche, des intérêts communs et des forces différentes, elles gagneraient à renforcer leur collaboration. Ces dernières années, BAC a conclu des protocoles d’entente avec dix universités canadiennes. Il y a toujours une entente globale de départ, où les participants acceptent de travailler ensemble et s’entendent sur un cadre de collaboration. Avec chaque entente globale, il y a un comité de coordination établi avec l’université partenaire.

Les principaux éléments de ces protocoles d’entente portent sur les éléments suivants :

  • Circulation du savoir-faire et des connaissances : échanges d’experts pour favoriser l’acquisition de compétences précises ; accueil d’étudiants stagiaires chez BAC ; et diffusion du savoir-faire et des connaissances entre BAC et les universités au moyen de programmes de formation et d’ateliers ;

  • Collaboration en recherche et en technologie : BAC et les universités se partagent l’expérience, les collections de sources documentaires et les locaux pour favoriser les avancées universitaires et soutenir les pratiques de recherche ; elles contribuent ensemble au développement technologique et à la diffusion des pratiques exemplaires (par exemple, dépôt numérique fiable).

D’autres sous-ententes plus spécifiques avec une université partenaire sont négociées au besoin.

Conclusion

En guise de conclusion, revenons aux questions posées par le comité organisateur du colloque GIRA 2018 : sous quelles conditions est réalisée la recherche en archivistique ? Par quels acteurs ? Quel portrait peut-on dresser d’un chercheur en archivistique ? Dans un contexte d’académisation de la recherche en archivistique, quel rôle jouent les institutions nationales ?

Pour BAC, la recherche en archivistique est nécessaire pour répondre à sa mission d’identifier, de préserver, et de rendre accessible le patrimoine documentaire du Canada tout en facilitant la concertation des milieux intéressés par le patrimoine documentaire. Bien sûr, la recherche à BAC est assujettie à des contraintes, notamment les lois et les politiques du gouvernement du Canada, de même que l’importance des projets de recherche vis-à-vis d’autres priorités établies par la gestion pour utiliser les budgets que le Parlement du Canada lui accorde.

L’archiviste est chercheur et le chercheur est archiviste. La recherche fait partie intégrante du travail de l’archiviste. Celui-ci est praticien. Expert dans son domaine de responsabilité, il gère son portefeuille de fonds : il l’enrichit ; il le rend accessible ; il partage son expertise avec les chercheurs et d’autres intervenants dans divers forums. Son expertise repose non seulement sur une maîtrise ou un doctorat dans une discipline pertinente, mais se développe également à travers les années d’expérience avec son portefeuille.

De par nos responsabilités, nous comprenons qu’« institution nationale » veut dire « archives nationales ». Le rôle de notre institution nationale, Bibliothèque et Archives Canada, est clair : bien répondre à notre mandat. Et pour le faire, un robuste investissement dans la recherche est un incontournable.