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La plupart des pays occidentaux connaissent des taux de séparation et de divorce relativement élevés. Au Québec, en 2018, 40 % des jeunes ont connu la séparation de leurs parents avant l’âge de 18 ans (Desrosiers et al., 2018), un taux comparable à celui des autres pays occidentaux. Avant l’âge de dix ans, plus de 30 % des enfants québécois auront vécu au sein d’une famille monoparentale, principalement parce que leurs parents se sont séparés (Cyr et al., 2011). Bien que des données canadiennes et québécoises montrent qu’il demeure plus probable qu’un enfant vive uniquement avec sa mère après la séparation, un partage plus égal du temps d’habitation de l’enfant chez ses deux parents est de plus en plus fréquent (Biland et Schütz, 2013; Cyr et al., 2011). La séparation conjugale est une transition qui donne lieu à une réorganisation considérable du système familial (Emery, 2011) et les deux premières années constituent une période charnière pour les membres de la famille. Les parents devront laisser de côté leurs enjeux conjugaux pour renégocier leur relation interparentale et leur rôle parental et prendre des décisions sur le mode de garde et les modalités de contacts (Ahrons et Miller, 1993).

La relation interparentale et l’engagement du père auprès de son enfant ont fait l’objet d’un intérêt considérable de la part des chercheurs, des familles et des professionnels de milieux sociojuridiques. Il est généralement bien reconnu qu’il s’agit de deux composantes critiques associées au bien-être des membres de la famille (Afonso, 2007). Les connaissances demeurent cependant parcellaires quant à la façon dont ces deux composantes s’articulent pour former des contextes ou patrons relationnels distincts. Or, la réorganisation de la relation interparentale et de l’engagement paternel ne se produit pas de façon isolée, mais plutôt en cooccurrence et selon des profils variés (Elam et al., 2019). L’identification de ces différents profils familiaux peut permettre de mieux représenter la diversité des dynamiques familiales dans la période qui suit la séparation, de mettre en évidence les processus qui entravent ou favorisent la résilience des membres de la famille et d’orienter le développement d’interventions susceptibles de mieux répondre à leurs besoins spécifiques (Elam et al., 2019).

La présente étude vise donc à mieux cerner la dynamique du système familial pris dans son ensemble, dans la période entourant la rupture conjugale. Fondée sur la théorie des systèmes familiaux, elle vise à répondre à deux objectifs : (1) décrire les patrons relationnels, sur la base d’une pluralité d’indicateurs reliés à deux sous-systèmes, soit le sous-système interparental et le sous-système père-enfant; (2) examiner les liens entre les caractéristiques individuelles des enfants, des parents et du contexte familial et les différents patrons relationnels.

Contexte

Les recherches récentes sur l’engagement paternel montrent une augmentation de l’implication des pères après la séparation au cours des dernières années (Desrosiers et Simard, 2010). Par exemple, des données québécoises extraites de l’ÉLDEQ indiquent qu’au moment de la séparation, 40,3 % des enfants partagent leur temps d’habitation chez les deux parents, 35,4 % visitent leur père régulièrement, 8,1 % occasionnellement et 7,2 % n’ont plus contact avec lui (Desrosiers et al., 2018). La période entourant la séparation semble particulièrement charnière puisque c’est surtout au cours de la première année que les pères décideraient de s’engager ou non dans la vie de leur enfant (Cheadle et al., 2010). La plupart des chercheurs reconnaissent l’importance de la figure paternelle dans la vie de l’enfant, que ce soit dans les familles biparentales intactes (Dubeau et al., 2006) ou dans les familles séparées (Lamb, 2012). Dans ces dernières, plusieurs dimensions sont régulièrement étudiées, dont la qualité des relations et la fréquence des contacts (Cheadle et al., 2010; Elam et al., 2016). Tandis que le maintien de bonnes relations ressort comme un facteur prépondérant pour le bien-être de l’enfant (King et Sobolewski, 2006), l’effet de la fréquence des contacts est quant à lui plus controversé, notamment en présence de conflits (Trinder et al., 2008). Néanmoins, la régularité des contacts engendrerait des bénéfices notables sur le plan des relations père-enfant grâce à la multiplicité et à la diversité des expériences qu’elle autorise (Fabricius et al., 2016).

Si les auteurs se sont d’abord centrés sur les processus en jeu dans les relations dyadiques mère-enfant et père-enfant, ils ont progressivement élargi leurs analyses à la relation interparentale (Robin et Bergonnier-Dupuy, 2007). Certains auteurs examinent le lien affectif qui unit les deux parents séparés (Schoppe et al., 2001); d’autres leurs comportements et attitudes en se centrant sur la communication et le soutien ou, à l’opposé, sur l’antagonisme et les conflits (Maccoby, et al., 1990). Les concepts de coparentalité et de climat relationnel y sont aussi associés (Drapeau, et al., 2008). Une grande variabilité de relations interparentales peut se déployer après la séparation (p. ex., coopérative, conflictuelle, désengagé) et la prise en compte de leur singularité est cruciale, puisqu’elle influence les interactions familiales et l’adaptation des membres de la famille (Afonso, 2007).

À partir de l’an 2000, la relation interparentale et l’engagement paternel ont été étudiés simultanément afin de mieux cerner la dynamique du système familial pris dans son ensemble. La majorité de ces études ont été effectuées selon une approche centrée sur les variables (e.g. corrélation, régression). Cette approche traditionnelle en sciences sociales postule qu’une population est homogène, s’intéresse au changement moyen qui s’opère au sein de cette population et permet d’expliquer l’association entre des variables (Bergman et Trost, 2006). Les résultats d’études longitudinales qui ont recours à cette approche montrent que la coopération entre les parents séparés prédit plus de contacts entre le parent non-gardien et son enfant dans les années subséquentes (Carlson et al., 2008; Sobolewski et King, 2005). Au contraire, des conflits non résolus entre les ex-conjoints se propageraient dans les sous-systèmes parents-enfant, à travers un déclin de l’engagement paternel (Sobolewski et King, 2005).

Approche théorique

La théorie des systèmes familiaux constitue le cadre de la présente recherche. Elle postule que la famille est un système global, composé de sous-systèmes relationnels (p. ex., interparental, parents-enfant) à la fois autonomes et interdépendants. La réorganisation du système familial après la séparation est le fruit des changements qui s’opèrent à l’intérieur de deux sous-systèmes principaux : relation interparentale et les relations parents-enfant. La compréhension du fonctionnement des familles séparées peut être optimisée lorsque l’ensemble des sous-systèmes relationnels sont examinés ensemble. Cette perspective postule en effet que les sous-systèmes sont interdépendants, exerçant une influence continue et réciproque les uns sur les autres (Cox et Paley, 1997). La compréhension de l’interdépendance des sous-systèmes a été étudiée via les processus de contagion et de compartimentation. L’effet de contagion s’observe lorsque la piètre qualité de la relation entre les parents est associée à des relations parents-enfant plus conflictuelles (Bradford et al., 2008). Le processus de compartimentation peut se manifester par la capacité des parents à isoler leurs conflits interparentaux de leur relation avec l’enfant, afin qu’ils n’interfèrent pas dans leur relation (Kerig, 2005). En présence de conflits au sein de la dynamique familiale, certains auteurs rapportent une diminution de l’engagement paternel (Bokker, 2006), alors que d’autres observent que les conflits élevés ne seraient pas nécessairement associés à moins d’engagement du père auprès de l’enfant (Sobolewski et King, 2005). En somme, il existe de la variabilité au sein des relations familiales et ces deux scénarios pourraient coexister à l’intérieur d’une même population.

Les analyses centrées sur les personnes dans la période post-séparation

L’approche centrée sur les personnes est reliée à la théorie des systèmes familiaux et postule que la population est hétérogène. Complémentaire à l’approche centrée sur les variables, elle permet d’identifier des patrons distincts de variables et de repérer empiriquement des sous-groupes qui partagent des caractéristiques communes (Bergman et Trost, 2006). En utilisant une approche centrée sur les personnes, plusieurs études ont porté sur l’identification de profils de coparentalité (Beckmeyer et al., 2014), et seules quelques-unes incluent aussi l’engagement du parent non-gardien dans leur analyse (Amato et al., 2011; Baum, 2004; Elam et al., 2016; Modecki et al., 2015). De façon générale, ces études dégagent des patrons de dynamiques familiales diversifiés après la rupture. Par exemple, Amato et al. (2011) en ont identifié trois : coopératif (contacts fréquents entre le parent non-gardien et l’enfant et relation coopérative entre les parents), parallèle (contacts modérés à élevés et peu de communication entre les parents), single (absence de contact et de communication). À partir d’un échantillon de 240 dyades mère-enfant ayant participé à un programme pour parents séparés, Elam et al. (2016) identifient quant à eux quatre groupes de dynamiques familiales deux ans après la séparation : deux groupes dont l’implication paternelle et les contacts père-enfant sont modérés, mais qui se distinguent l’un de l’autre par des conflits faibles (31,8 %) ou élevés (24,3 %) et deux groupes dont les conflits sont modérés, mais qui se distinguent l’un de l’autre par une fréquence de contacts faible (27,2 %) et élevée (16,7 %). Ces typologies montrent que la réalité des familles séparées n’est pas dichotomique (bonne ou mauvaise séparation) et permettent d’illustrer la diversité avec laquelle les individus s’adaptent et vivent l’expérience de la séparation. En outre, la présence de conflits n’est pas toujours associée à un déclin des contacts entre l’enfant et le parent non-gardien.

Toutefois, quelques limites doivent être mentionnées. Le temps écoulé depuis la séparation et l’âge de l’enfant au moment de la séparation ne sont pas toujours contrôlés et peuvent présenter une grande variabilité d’une famille à l’autre, variabilité qui ne fait pas toujours l’objet d’analyses complémentaires. De plus, l’exercice du rôle parental et de la coparentalité comportent des enjeux spécifiques selon le stade développemental des enfants. Selon plusieurs auteurs, plus l’enfant et le père ont vécu longtemps ensemble avant la rupture, plus ils ont eu l’opportunité de développer leur relation et plus ils entretiennent des contacts post-rupture (Cheadle et al., 2010).

Enfin, certains auteurs examinent les variables prédictrices des patrons relationnels observés. Étant donné que ces études commencent tout juste à émerger, les connaissances demeurent parcellaires. Le rôle du sexe de l’enfant est mitigé selon les recherches, certains auteurs rapportant plus de soutien dans la relation interparentale (Bronte-Tinkew et Horowitz, 2010) ou des contacts modérés (Elam et al., 2016) dans les familles de garçons, tandis que d’autres auteurs montrent que le rôle genre n’est pas significatif (Cheadle et al., 2010). Les familles n’ayant pas vécu de recomposition familiale et dont le revenu et le niveau d’éducation sont les plus élevés seraient celles qui se caractériseraient par les plus hauts degrés de contact et de coopération (Amato et al., 2011).

La présente étude

Le premier objectif est de décrire les patrons relationnels dans la période entourant la séparation, sur la base d’indicateurs reliés au sous-système interparental (i.e., le climat relationnel entre les parents, les tensions entourant la garde et les droits de visite, la satisfaction de la mère quant à l’implication du père sur le plan financier et auprès de l’enfant) et au sous-système père-enfant (i.e., la fréquence des contacts du père avec l’enfant et le respect des modalités de contacts prévus). L’ensemble de ces indicateurs sont rapportés par la mère. Le deuxième objectif est d’examiner le rôle prédicteur des caractéristiques individuelles des enfants, des parents et du contexte familial dans l’appartenance aux patrons relationnels. Pour répondre aux objectifs visés, une approche centrée sur la personne est adoptée. À notre connaissance, il s’agit de la première étude ayant recours à cette approche qui utilise des données de la population générale et qui tient compte de l’âge de l’enfant au moment de la séparation. Pour ces raisons, aucune hypothèse n’est formulée quant à la nature des profils identifiés et à l’appartenance des sujets de notre échantillon à ces derniers.

La période proximale à la rupture (jusqu’à deux ans post-rupture) est ciblée, car l’engagement paternel et la relation interparentale sont susceptibles de varier au cours du temps (Cheadle et al., 2010; Elam et al., 2016; Goldberg et Carlson, 2015; Modecki et al., 2015). Ensuite, la présente étude porte sur des enfants de quatre à huit ans, ce qui est complémentaire à l’étude d’Elam et al. (2016), centrée sur la période entourant la séparation, mais ciblant des enfants de neuf à douze ans au moment de la séparation. Le choix de ce groupe d’âge repose sur plusieurs raisons. D’abord, le souci de préserver une certaine homogénéité; la petite enfance et l’adolescence posant des enjeux différents sur le plan de la coparentalité (Maccoby et al., 1990). Ensuite, les enfants de moins de quatre ans sont exclus afin que les parents aient eu une période de vie commune suffisamment significative leur permettant d’établir les bases de la relation interparentale et permettant le développement du lien père-enfant. Enfin, les enfants de plus de huit ans ont été exclus pour des raisons d’ordre méthodologique, car les variables d’intérêt sont mesurées différemment dans les années subséquentes.

MÉTHODE

Les données de cette recherche proviennent de l’Étude longitudinale sur le développement des enfants du Québec (ÉLDEQ). Cette enquête, menée par l’Institut de la statistique du Québec et ses partenaires, est basée sur un échantillon représentatif de 2120 enfants nés de mères résidant au Québec en 1997-1998, excluant les enfants nés prématurément, ceux ayant des problèmes de santé majeurs et ceux vivant dans certaines régions (Nord-du-Québec, Nunavik et Terres-Cries-de-la-Baie-James) ou sur des réserves autochtones (Desrosiers et Simard, 2010). Les enfants ont fait l’objet d’un suivi annuel de l’âge de cinq mois jusqu’à huit ans, et d’un suivi bisannuel jusqu’à l’âge de dix-sept ans, totalisant quatorze volets (chaque année d’enquête est appelée « volet »). Les informations sur l’enfant et son contexte familial proviennent de plusieurs sources (p. ex., l’enfant-cible, la « personne qui connaît le mieux l’enfant », son conjoint ou sa conjointe).

Participants

La présente étude cible un sous-échantillon de l’ÉLDEQ, soit des enfants dont les parents se sont séparés. Pour être retenues, (1) les familles devaient être intactes lors de la naissance de l’enfant, (2) les parents devaient avoir eu un minimum de quatre ans de vie commune avec l’enfant avant leur séparation, (3) la rupture conjugale et physique devait survenir entre les volets 5 et 9 inclusivement, soit lorsque l’enfant était âgé d’environ quatre ans jusqu’à huit ans et (4) les deux parents devaient être vivants.

L’échantillon final est composé de 183 mères. Le temps écoulé depuis la séparation des parents varie entre 0 et 31 mois (M = 7,91, ET = 5,74). Au volet où la séparation est rapportée, l’âge des enfants varie entre 44 et 102 mois (M = 72,01, ET = 16,68) et 51 % sont des filles. Les mères sont âgées entre 24 et 49 ans (M= 33,46, ET = 5,26) et les pères entre 25 et 51 ans (M = 36,31, ET = 5,61). Pour ce qui est des mères, 11,5 % rapportent avoir un nouveau partenaire. Ensuite, 36,6 % ont un revenu annuel entre 0 et 19 999 $, 36,1 % entre 20 000 $ et 39 999 $, 20,2 % entre 40 000 $ et 59 000 $ et 7,1 % de plus de 60 000 $. La majorité d’entre elles travaillent à plein temps ou à temps partiel (85,2 %). Le plus haut niveau de scolarité obtenu est un diplôme universitaire pour 26,2 % des mères, 37,7 % ont un diplôme d’études professionnelles ou un diplôme d’études collégiales, 22,4 % ont un diplôme d’études secondaires et 13,7 % n’ont aucun diplôme. Les données pour les pères n’étant pas disponibles au moment de la séparation, leurs caractéristiques sont décrites sur la base des données disponibles au volet précédant celui de la séparation. Leur plus haut niveau de scolarité obtenu est un diplôme universitaire pour 24,1 % des pères, 33,5 % ont un diplôme d’études professionnelles ou un diplôme d’études collégiales, 22,9 % ont un diplôme d’études secondaires et 19,4 % n’ont aucun diplôme. Ensuite, 94,1 % d’entre eux travaillent à temps plein ou à temps partiel. La durée moyenne de l’union antérieure des parents est de 10,42 ans (ET = 3,78) et 46,1 % étaient mariés. En ce qui concerne le partage du temps d’habitation de l’enfant entre les parents, la garde est à la mère seulement (avec visites régulières ou irrégulières du père) dans 55,9 % des cas, surtout un parent dans 15,1 % des cas et partagée également entre les parents dans 28,9 % des cas. La garde du ou des enfant(s) fait l’objet d’une ordonnance de la cour dans 36,1 % des cas.

Variables dépendantes

Pour le premier objectif, soit d’identifier et décrire des patrons relationnels au moment de la séparation, des variables reliées à la relation interparentale et à l’engagement paternel ont été examinées. Celles-ci sont rapportées par la mère et proviennent du Questionnaire informatisé rempli par l’intervieweur (QIRI) et du Questionnaire autoadministré de la mère (QAAM). Le QIRI est une entrevue structurée en face à face ou téléphonique d’une heure avec la personne qui connaît le mieux l’enfant, à savoir la mère dans cette étude. Le QAAM est un questionnaire acheminé aux mères par voie postale, qui prend approximativement 20 minutes à compléter. Le faible taux de réponses des pères après la séparation rendait impossible l’utilisation de leurs données pour la présente étude.

Relation interparentale

Quatre variables sont associées à la relation interparentale. Le Climat entourant la séparation est mesuré dans le QAAM par la question suivante : « S’il y a eu séparation ou rupture depuis notre dernière visite, comment décririez-vous le climat qui a entouré cette séparation entre vous et le père biologique de votre enfant ? ». Les modalités de réponses ont été recodées afin qu’un score élevé indique un bon climat : (1) Très mauvais, (2) Mauvais, (3) Assez bon, (4) Bon. La Tension créée par le partage du temps d’habitation ou des droits de visite est mesurée dans le QIRI par la question : « Pour les parents de [enfant-cible], est-ce que la question du partage du temps d’habitation ou des droits de visite crée : » (1) aucune tension, (2) très peu de tension, (3) une certaine tension, (4) énormément de tension ». Un score élevé indique une tension élevée. La Satisfaction de la mère concernant l’implication parentale du père est mesurée dans le QAAM par la question suivante : « Jusqu’à quel point êtes-vous satisfaite/insatisfaite de l’implication comme parent, du père biologique auprès de votre enfant (exemple : contacts, arrangement de garde, etc.) ? ». La Satisfaction de la mère concernant l’implication financière du père est mesurée dans le QAAM par la question suivante : « Jusqu’à quel point êtes-vous satisfaite/insatisfaite de l’implication financière du père biologique auprès de votre enfant ? ». Les modalités de réponses des deux variables de satisfaction de la mère ont été recodées afin qu’un score élevé indique une satisfaction élevée : (1) Très insatisfaite, (2) Plutôt insatisfaite, (3) Plutôt satisfaite, (4) Très satisfaite.

Engagement paternel

Cette dimension de la dynamique familiale est mesurée à l’aide de deux variables. La Fréquence des contacts père-enfant est mesurée dans le QAAM par la question : « Jusqu’à quel point le père biologique de votre enfant a-t-il des contacts avec lui (exemple : téléphones, visites, garde de l’enfant, etc.)? » (1) Jamais, (2) À l’occasion, (3) Quelques fois par mois, (4) Quelques fois par semaine, (5) À tous les jours. Le Respect des contacts avec l’enfant de la part du père est mesuré dans le QIRI par la question : « Au cours de la dernière année ou depuis la séparation, si celle-ci a eu lieu il y a moins d’un an, diriez-vous que [enfant-cible] a vu son autre parent aussi souvent que prévu? Diriez-vous qu’il l’a vu : « (1) Jamais (2) Beaucoup moins souvent que prévu, (3) Un peu moins souvent que prévu, (4) Aussi souvent que prévu, (5) Un peu plus souvent que prévu, (6) Beaucoup plus souvent que prévu. Cette variable a été recodée de façon à ce que les réponses « L’autre parent n’a pas de droit de visite » et « L’enfant n’a jamais vu l’autre parent au cours de la dernière année » soient fusionnées à la catégorie « Jamais ».

Variables prédictrices des patrons relationnels

Pour le deuxième objectif, soit d’examiner les variables prédictrices des patrons relationnels, les variables suivantes ont été ciblées : le sexe de l’enfant-cible, le plus haut niveau de scolarité de la mère, le revenu annuel de la mère, le statut matrimonial préséparation, la durée de l’union antérieure (en années), la présence d’une ordonnance de cour concernant la garde de l’enfant et la présence d’un nouveau partenaire pour la mère. Trois variables ont été recodées afin de réduire le nombre de modalités de réponses : l’ordonnance de cour concernant la garde (0 = Non, 1 = Oui), le plus haut niveau de scolarité de la mère (1 = Sans diplôme d’études secondaires; 2 = Diplôme d’études secondaires; 3 = Diplôme d’études professionnelles ou Diplôme d’études collégiales; 4 = Diplôme universitaire) et le revenu annuel de la mère (1 = moins de 19 999$; 2 = 20 000$ à 39 999$; 3 = 40 000$ à 59 999$; 4 = 60 000$ et plus).

ANALYSES STATISTIQUES

Pour tenir compte des possibles biais de sélection ainsi que de la probabilité d’attrition pouvant être différente selon les individus, les poids échantillonnaux longitudinaux inclus dans l’ÉLDEQ et calculés au volet où la séparation a été rapportée ont été utilisés dans toutes les analyses. La tension entourant la garde ou les droits de visite est mesurée à tous les deux volets et le respect des contacts avec l’enfant de la part du père n’était pas mesuré au volet 8. Ainsi, lorsque les parents se séparent lors d’un volet où la variable n’était pas mesurée, les données du volet suivant ont été utilisées pour imputation (n = 82 situations familiales). Aucune autre imputation n’a été réalisée.

Pour répondre à l’objectif 1, une matrice de corrélations de Spearman a permis d’explorer les associations entre les variables dépendantes (VD) et la possible présence de multicolinéarité. Pour identifier les patrons relationnels dans la période entourant la séparation, une analyse de classe latente (latent class analysis LCA) a été réalisée à partir des six VD mesurant la relation interparentale et l’engagement paternel. L’analyse a été effectuée à l’aide de la procédure PROC LCA (Lanza et al., 2015) exécutée avec le logiciel SAS 9.3. Sur la base de variables nominales ou ordinales, l’objectif de la LCA est de rendre compte de la variabilité interindividuelle observée, en classifiant les données des participants de telle sorte que ceux appartenant à une classe donnée se ressemblent et se différencient le plus possible des cas appartenant aux autres classes (Vermunt et Magidson, 2013). Cette méthode est robuste aux données manquantes, flexible sur le plan de l’hétérogénéité du nombre d’observations d’un individu à l’autre, et permet l’utilisation de poids échantillonnaux. L’estimation des paramètres du modèle a été effectuée selon la méthode Expectation maximization (EM), et la gestion des données manquantes a été effectuée automatiquement par la procédure via la Full information maximum likelihood estimation. Puisque nous n’avions pas posé d’hypothèses sur le nombre de classes attendu, plusieurs modèles ont été comparés, en débutant par un modèle à une classe et en augmentant itérativement le nombre de classes jusqu’à obtention de la solution présentant le meilleur ajustement et un test comparatif d’ajustement non significatif.

Différents indices ont été retenus afin de juger de l’ajustement des données observées au modèle testé (nombre de classes de la variable latente). Pour ce qui est des indices de parcimonie, le Akaike information criteria (AIC), le Adjustedbayesian information criteria (BIC ajusté) et le Log-likekihood ratiotest (LRT) ont été utilisés. Les valeurs du AIC et du BIC ajusté les plus basses indiquent un meilleur ajustement du modèle. Le LRT vise à comparer deux modèles de complexité distincts : un premier comprenant k classes et un second comprenant k -1 classes. Ainsi, une valeur p significative indique que l’ajout d’une classe améliore significativement l’ajustement avec les données. L’indice d’entropie, variant de 0 à 1, indique à quel point les individus sont correctement classifiés dans les classes latentes (1 = classification parfaite) (Clark et Muthén, 2009).

Les patrons relationnels ont été comparés sur : (a) les VD de la relation interparentale et d’engagement paternel et sur (b) les variables prédictrices. Des analyses de variance (ANOVA) pour les variables continues ou ordinales (test de Welch si hétérogénéité des variances) et des tests de khi-carré d’indépendance pour les variables catégorielles ont été effectués.

RÉSULTATS

Statistiques descriptives

Au Tableau 1, de façon générale, on observe que les mères de l’échantillon rapportent peu de tension et une satisfaction assez élevée à l’égard de l’implication parentale et financière du père. De plus, elles rapportent un assez bon climat avec le père. En moyenne, les pères ont des contacts avec l’enfant-cible plusieurs fois par mois et respectent la fréquence des contacts prévus. Les variables associées à la relation interparentale sont corrélées significativement entre elles de façon modérée. Les résultats montrent également des corrélations significatives de force moyenne (0,30) à faible (0,10) (Cohen, 1988) entre les variables de relation interparentale et d’implication paternelle. Ces données indiquent aussi une absence de multicolinéarité.

Tableau 1

Variables de relation interparentale et d’engagement paternel: Corrélations de Spearman (rs) et statistiques descriptives

Variables de relation interparentale et d’engagement paternel: Corrélations de Spearman (rs) et statistiques descriptives

Note. ∗< 0,05, ∗∗< 0,01.

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Analyses de classes latentes

Pour être inclus dans les analyses, les participants devaient répondre à au moins une des six VD, de sorte que dix participants ont été exclus des analyses (n = 173). Aucune différence significative n’est observée entre les participants inclus et exclus des analyses, en regard de toutes les caractéristiques sociodémographiques, ce qui suggère que les données étaient manquantes de manière complètement aléatoire (missing completely at random, MCAR). Des modèles variant d’une à cinq classes latentes ont été estimés. Les indices d’ajustement du modèle en fonction du nombre de classes sont présentés au Tableau 2. Tel qu’indiqué en gras, le modèle retenu correspond au modèle à quatre classes, puisqu’il correspond au modèle intermédiaire présentant l’indice d’entropie le plus élevé et que l’ajout d’une classe supplémentaire n’est pas significatif. De plus, les indices de parcimonie (AIC, adjusted BIC) sont parmi les plus bas.

Tableau 2

Indices d’ajustement du modèle (n = 173)

Indices d’ajustement du modèle (n = 173)

Note. AIC = Akaike information criterion; BIC ajusté = Adjusted bayesian information criterion : l’indice AIC et le BIC ajusté plus bas indiquent un meilleur ajustement; LRT = Log-likelihood Ratio Test: une valeur p significative (< 0,05) indique que l’ajout d’une classe améliore significativement l’ajustement avec les données. Entropie (0-1) : un score de 1 indique une classification parfaite des individus.

Les scores en gras indiquent le modèle (nombre de classes) où le meilleur ajustement est observé.

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La Figure 1 illustre les résultats de la LCA, soit les moyennes prédites pondérées sur chaque VD en fonction des quatre classes retenues. Le Tableau 3 présente les différences significatives entre les classes sur chaque VD et la proportion de variances expliquée de chaque VD au modèle, indiquant que les variables de relation interparentale permettent de mieux distinguer les classes que celles relatives à l’implication paternelle, plus particulièrement la tension entourant la garde et la satisfaction de la mère à l’égard de l’implication parentale du père.

La classe 1, Harmonieux - Impliqué, comprend 29,5 % de l’échantillon (prévalence attendue dans la population = 28,4 %; probabilité moyenne a posteriori d’appartenir à cette classe = 0,91). L’ensemble des variables associées à la relation interparentale se distinguent significativement des trois autres classes; la mère rapporte la plus faible tension avec le père concernant la garde, le meilleur climat au moment de la séparation et la satisfaction la plus élevée à l’égard de l’implication parentale et financière du père. De plus, la mère rapporte une fréquence élevée de contacts et un respect élevé de la part du père concernant la fréquence des contacts prévue.

La classe 2, Modérément harmonieux– Impliqué, comprend 44,5 % de l’échantillon (prévalence attendue = 43,5 %; probabilité moyenne a posteriori = 0,88). Les variables de relation interparentale se distinguent significativement de la classe précédente, se situant à un niveau modéré de tension, de satisfaction et de climat. Les mères de cette classe rapportent une fréquence des contacts et un respect des contacts prévus qui sont élevés et similaires à la classe 1 (Harmonieux-Impliqué).

Figure 1

Moyennes prédites pour les variables de relation interparentale et d’engagement paternel en fonction des quatre classes retenues

Moyennes prédites pour les variables de relation interparentale et d’engagement paternel en fonction des quatre classes retenues

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La classe 3, Modérément conflictuel-Contacts modérés représente 14,5 % de l’échantillon (prévalence attendue = 15,1 %; probabilité moyenne a posteriori = 0,80). Elle se distingue des deux précédentes sur le plan de la tension entre les parents qui est significativement plus élevée et de la satisfaction concernant l’implication financière, significativement plus faible. Le climat entre les parents et la satisfaction de la mère concernant l’implication parentale du père sont similaires à la classe 2 (Modérément harmonieux-Impliqué). La fréquence des contacts est la plus faible des quatre classes, alors que le respect des contacts prévu est le plus élevé.

Tableau 3

Moyennes et proportions, différences entre les classes (F, χ2) sur les variables dépendantes et prédictrices

Moyennes et proportions, différences entre les classes (F, χ2) sur les variables dépendantes et prédictrices

Note. ∗p < 0,05. Les moyennes et proportions de même ligne qui ne partagent pas d’indice diffèrent à p < 0,05.

Les lettres indiquent où se situent les différences statistiquement significatives entre les classes.

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La classe 4, Conflictuel-Contacts irréguliers, représente 11,6 % de l’échantillon (prévalence attendue = 13,0 %; probabilité moyenne a posteriori = 0,93). L’ensemble des variables associées à la relation interparentale se distinguent significativement des trois autres classes : la mère rapporte la tension la plus élevée concernant la garde, le moins bon climat au moment de la séparation et le plus d’insatisfaction à l’égard de l’implication parentale et financière du père. Même si la fréquence des contacts est similaire aux autres classes, les pères verraient leur enfant moins souvent que prévu, ce qui est distinctif des trois autres classes où les pères voient leur enfant soit aussi souvent ou plus souvent que prévu.

Variables prédictrices des patrons relationnels

Les comparaisons entre les classes sur l’ensemble des variables prédictrices examinées sont présentées au Tableau 3. Les résultats révèlent une différence significative entre les classes pour la durée de l’union antérieure des parents, qui suggère que les parents de la classe 1 (Harmonieux-Impliqué) ont eu une union significativement plus courte que les parents de la classe 2 Modérément harmonieux-Impliqué (M = 109 versus 136 mois). Une autre différence significative est observée pour la présence d’une ordonnance de cour concernant la garde de l’enfant. On retrouve davantage de familles présentant une ordonnance dans le groupe Conflictuel- Contacts irréguliers (classe 4) que dans les groupes Harmonieux-Impliqué (classe 1) et Modérément harmonieux-Impliqué (classe 2). Pour les autres variables prédictrices, les résultats ne révèlent aucune différence significative entre les classes.

DISCUSSION

La présente étude contribue à l’avancement des connaissances par l’utilisation d’une approche centrée sur les personnes afin de caractériser différents niveaux individuels de relation interparentale et d’engagement paternel, et ce, dans la période entourant la séparation des parents et sur la base de données représentatives de la population québécoise. Le recours à un échantillon constitué de familles de la population générale a rendu possible l’étude de familles dont les parents étaient mariés ou en union libre avant la séparation, avaient différentes modalités de garde post-rupture et provenaient de milieux socioéconomiques divers. Sans nier que la séparation conjugale constitue un défi d’adaptation pour les membres de la famille impliqués, il importe de mentionner tout d’abord que dans cette étude, la majorité des familles ne semblent pas vivre des conflits importants, ni de désengagement parental du père. Cela corrobore d’autres observations à l’effet d’une plus grande implication des pères (Biland et Schütz, 2013; Cyr et al., 2011) et d’une faible proportion de familles de la population générale vivant des conflits élevés après la séparation (Drapeau et al., 2009).

Les résultats de cette recherche font ressortir quatre patrons relationnels dans la période entourant la séparation. Les patrons Harmonieux-Impliqué (classe 1) et Modérément harmonieux-Impliqué (classe 2) sont respectivement caractérisés par un bon et un assez bon fonctionnement sur le plan de la relation interparentale et par un niveau d’engagement élevé des pères. La durée de l’union antérieure des parents étant plus longue dans le groupe Modérément harmonieux-Impliqué que dans le groupe Harmonieux-Impliqué, il serait intéressant d’examiner la trajectoire de ces familles au fil du temps. Des auteurs ont avancé que les parents qui étaient engagés dans une relation conjugale de longue durée mettaient plus de temps à reconstruire leur identité individuelle en dehors du couple conjugal initial et rencontraient plus de difficultés à dissocier leur rôle d’époux de celui de parents (Duran-Aydintug, 1995). Le groupe Modérément conflictuel-Contacts modérés (classe 3) est caractérisé par une tension assez élevée entre les parents concernant la garde et par des contacts père-enfant de fréquence modérée, mais qui respectent l’arrangement prévu entre les parents. Cette tension, combinée à la relative insatisfaction de la mère concernant l’implication du père, pourrait indiquer que la mère souhaiterait qu’il s’implique davantage, la fréquence des contacts étant la plus basse des quatre groupes. Afin de tester cette hypothèse, il aurait été pertinent de connaître les raisons plus précises des conflits. Le groupe Conflictuel-Contacts irréguliers (classe 4) comprend des familles vivant des difficultés sur le plan de la relation interparentale et de l’engagement paternel. Il est intéressant de noter qu’il s’agit du seul groupe dont la fréquence des contacts est moindre que celle prévue - ce qui explique qu’il soit désigné par l’expression « contacts irréguliers - et que parallèlement, ces familles ont davantage eu recours à une ordonnance de cour pour la garde de l’enfant, contrairement aux deux groupes peu conflictuels de cette étude. Il est possible que cela explique la tension élevée entre les parents, si par exemple, l’entente en cours n’est pas respectée.

Alors que plusieurs travaux antérieurs rapportent que la relation interparentale est associée à l’engagement paternel (Goldberg et Carlson, 2015; Sobolewski et King, 2005), la présente étude suggère que la relation entre ces deux composantes varie d’une famille à l’autre. En effet, les caractéristiques des trois premières classes (Harmonieux-Impliqué, Modérément harmonieux-Impliqué et Modérément conflictuel-Contacts modérés) rejoignent les études rapportant des corrélations positives entre ces variables. Toutefois, les caractéristiques du groupe Conflictuel-Contacts irréguliers rejoignent les résultats des études de Modecki et al. (2015) et d’Elam et al. (2016) qui dégagent un groupe à l’intérieur duquel des composantes positives et négatives sont observées. Les dynamiques familiales au sein desquelles coexistent des conflits élevés et des contacts fréquents suscitent l’intérêt de plusieurs chercheurs. Certains auteurs rapportent que la présence de conflits entre les parents, combinée à des contacts fréquents de l’enfant avec ses deux parents, peut le placer à risque d’être exposé aux conflits parentaux et de se retrouver dans un conflit de loyauté (Johnston, 1995). D’autres études seraient nécessaires afin d’examiner les enjeux de ces familles plus en profondeur.

Outre la durée de l’union antérieure et la présence d’une ordonnance de cour pour la garde, le rôle d’autres variables prédictrices dans l’appartenance des familles aux groupes identifiés a été examiné dans cette étude, comme des variables sociodémographiques ou liées au contexte familial. Globalement, ces variables ne contribuent pas à distinguer les groupes. Ces résultats s’apparentent à ceux des recherches de Baum (2004) et d’Elam et al. (2016), montrant que les variables reliées au statut socio-économique de la mère ne permettent pas de prédire l’appartenance des familles aux groupes.

Cette étude comporte des limites qui doivent être prises en compte dans l’interprétation des résultats. Premièrement, certaines variables n’ont pu être considérées dans cette recherche, soit parce qu’elles n’étaient pas mesurées à tous les volets de l’ÉLDEQ ou parce que leurs mesures ont été soumises à des modifications au fil du temps. Bien que cette étude permette d’identifier des indicateurs associés à la présence de conflits dans la situation familiale, il n’y a pas de mesure standardisée (validée) du conflit entre les parents dans l’ÉLDEQ.

Deuxièmement, pour mieux rendre compte des processus en jeu dans le sous-système père-enfant, d’autres indicateurs à la fois quantitatifs et qualitatifs de l’engagement paternel devraient être étudiés (p.ex. la qualité des relations, la qualité des pratiques parentales, la durée et la régularité des visites) (Fabricius et al., 2010).

Troisièmement, il aurait été préférable de documenter l’engagement paternel en ayant le point de vue des deux parents. Il a été montré que, dans certains cas, les mères sous-estimaient la fréquence des contacts père-enfant (Mikelson, 2008). Les données de cette étude ne font sans doute pas exception. Il serait pertinent que les études futures rendent compte du point de vue des pères sur les contacts afin d’avoir une description plus conforme de leur réalité.

Quatrièmement, cette étude cible des familles dont les enfants sont âgés entre quatre et huit ans au moment de la séparation. Puisque le stade de développement de l’enfant est associé à des enjeux et des défis spécifiques sur le plan de la relation interparentale et de l’engagement paternel, les résultats de cette étude ne peuvent donc pas se généraliser à d’autres groupes d’âge. Il serait toutefois pertinent d’examiner cette question auprès d’enfants qui se situent dans d’autres tranches d’âge.

Cinquièmement, pour ce qui est du rôle de variables prédictrices dans l’appartenance des groupes aux patrons relationnels, il aurait été intéressant d’examiner d’autres variables ou d’avoir des renseignements supplémentaires sur celles qui ont été examinées. Des facteurs relationnels (e.g., qualité des relations parents-enfant) et individuels (e.g., bien-être psychologique des parents) associés à la relation interparentale ou à l’engagement paternel auraient été pertinents. De plus, même si la présence d’une ordonnance de cour pour la garde de l’enfant est observée plus souvent dans le groupe Conflictuel-Contacts irréguliers, il ne s’agit pas, tel que formulé dans l’ÉLDEQ, d’un indicateur de conflit dans la dynamique familiale. En effet, la garde peut faire l’objet d’une ordonnance, sans qu’il y ait un litige entre les parents. Par conséquent, il aurait été intéressant d’examiner la présence d’un litige et ses motifs, de même que la durée des procédures légales.

CONCLUSION

L’une des principales contributions de cette recherche est d’examiner la diversité des dynamiques familiales et leurs variables prédictrices à l’aide d’une approche centrée sur les personnes, de façon prospective et sur la base de données représentatives de la population québécoise. Selon la perspective systémique, la famille est un système complexe composé de différents sous-systèmes (Minuchin, 1974). Cette étude a comme force de prendre en compte des variables reliées à deux sous-systèmes de la dynamique familiale, à savoir les sous-systèmes interparental et père-enfant. À notre connaissance, aucune étude n’a considéré l’ensemble de ces indicateurs afin de créer des typologies. De plus, la période entourant la séparation est souvent considérée comme une période charnière marquée par la réorganisation du système familial (Emery, 2011).

La séparation des parents est en effet une transition qui demande une grande capacité d’adaptation et qui comporte des défis particuliers, notamment en ce qui a trait à la réorganisation de la relation interparentale et des liens parents-enfant. Si de nombreuses recherches mettent l’accent sur les difficultés engendrées au cours cette transition, les présents résultats invitent à considérer la diversité et la complexité des patrons d’interactions au sein des dynamiques familiales post-ruptures. Sur le plan pratique, cela implique la prise en compte d’indicateurs reliés à plus d’un sous-système relationnel dans l’élaboration d’une compréhension plus juste des relations familiales. De plus, ces résultats contribuent à mieux cibler les différents profils de familles afin d’apporter un soutien adapté à leurs besoins. Des stratégies de prévention destinées à la population générale, comme des séances d’information sur la relation interparentale, répondent généralement aux besoins des familles et sont perçues par celles-ci comme étant utiles et satisfaisantes (Quigley et Cyr, 2014). Selon plusieurs experts, il semble néanmoins que ces stratégies, souvent fondées sur la coopération entre les parents, soient insuffisantes, voire inappropriées pour les parents en conflit sévère (Drapeau et al., 2008). Pour ces parents, les écrits suggèrent de fournir du support intensif et individualisé, et ce, en combinaison à des services légaux et psychosociaux (Quigley et Cyr, 2014).