Abstracts
Résumé
Le Québec est reconnu comme étant la province dont la politique familiale se rapproche le plus de celle des pays nordiques en raison de ses prestations parentales généreuses et de ses services de garde à faible coût. Outre les interventions de l’État, d’autres mécanismes comme l’engagement des grands-parents et le soutien organisationnel contribuent à faciliter la conciliation emploi-famille. C’est sur ce dernier mécanisme que nous nous penchons en documentant la conciliation des mères et des pères dans les organisations québécoises sur la base de l’analyse de données de deux enquêtes menées en 2020 d’une part auprès des employés, et d’autre part, des entreprises. Nous montrons d’abord que les parents rapportent une conciliation le plus souvent « facile », même en temps de pandémie, et que la perception des hommes et des femmes face au soutien organisationnel offert par leur employeur ne varie pas significativement selon le genre. Nous brossons ensuite un portrait des mesures de conciliation emploi-famille offertes dans les organisations qui emploient majoritairement des hommes, celles où travaillent majoritairement des femmes, et celles qui sont mixtes. Nous montrons que les milieux majoritairement masculins ont une perception plus négative des effets des mesures de conciliation dans les organisations, alors que les milieux féminins perçoivent plus positivement ses effets sur la rétention des employés et l’attractivité de l’entreprise notamment. Nous observons que la présence d’une majorité de femmes dans un milieu de travail correspond à une offre plus diversifiée de mesures de conciliation emploi-famille. La discussion permet de faire le lien entre le contexte national québécois, qui valorise la symétrie des rôles familiaux, la manière dont les parents perçoivent leur conciliation emploi-famille et l’attitude des employeurs à l’égard de cet enjeu.
Précis
Les organisations, tout comme les membres de la famille et l’État, peuvent contribuer à faciliter la conciliation emploi-famille. Nous nous penchons ici sur la conciliation des vies personnelle et professionnelle des parents québécois sur la base de l’analyse de données de deux enquêtes menées auprès de parents et d’employeurs en 2020. Nous documentons et comparons l’expérience de conciliation en temps de pandémie des mères et des pères; puis, tout en tenant compte de l’importance des politiques familiales au Québec, nous montrons qu’il existe une correspondance entre le genre de la majorité de la main-d’oeuvre et l’offre de mesures de conciliation emploi-famille, les milieux de travail qui emploient majoritairement des femmes manifestant plus d’ouverture à l’égard de ces mesures et y voyant plus d’avantages.
Mots-clefs:
- Conciliation emploi-famille,
- Québec,
- organisations,
- genre
Summary
Quebec is recognized as the province whose family policy most closely resembles that of the Nordic countries, thanks to its generous parental benefits and low-cost childcare. In addition to state intervention, other mechanisms such as grandparent involvement and organizational support contribute to facilitate the work-family reconciliation. We examine this last mechanism by documenting the work-family reconciliation of mothers and fathers in Quebec on the basis of data analysis of two surveys conducted in 2020 with employees on the one hand and with employers on the other. First, we show that most parents report an “easy” reconciliation, even during the early months of the COVID-19 pandemic, and that the perception of men and women regarding the organizational support offered by their employer does not vary significantly by gender. We then provide a portrait of the work-family reconciliation measures offered in organizations that employ a majority of men, those that employ a majority of women, and those that are mixed. We show that organizations that employ a majority of men have a more negative perception of the effects of work-family reconciliation measures, while organizations with a majority of women have a more positive perception the effects of work-family reconciliation measures on employee retention and the attractiveness of the company in particular. We observe that the presence of a majority of women in a workplace corresponds to a more diversified supply of measures to support work-family reconciliation. The discussion highlights the links between Quebec’s national context that values the symmetry of family roles, the way parents perceive their work-family reconciliation and the attitude of employers towards this issue.
Keywords:
- Work-family reconciliation,
- Quebec,
- Organisation,
- Gender
Article body
Introduction
Il existe un consensus assez large chez les chercheurs sur la nécessité de conceptualiser l’univers du monde du travail comme étant interdépendant de celui de l’univers familial (Doucet, 2021; Fraser, 2016), en particulier parce que les familles et le marché de l’emploi sont en constante transformation. Même si la participation massive des mères au marché du travail a fait de la conciliation emploi-famille un enjeu social, politique et économique dont la démonstration n’est plus à faire, la crise sanitaire associée à la pandémie de COVID-19 a mis en lumière les effets négatifs d’une conciliation emploi-famille difficile sur les employés, notamment sur le plan du stress (Gagné et al., 2021), un constat qui était toutefois connu avant la crise (Boulet, 2013). Les difficultés de conciliation vécues par les employés peuvent également se révéler coûteuses pour les organisations en termes de retard, d’absentéisme ou de roulement de personnel (Medina-Garrido, Biedma-Ferrer et Sánchez-Ortiz, 2020; Yu, 2021), ou sur le plan de l’engagement et de la motivation (Becker, 2006; Mulvaney, McNall et Morissey, 2011). En revanche, les organisations qui facilitent la conciliation emploi-famille peuvent en retirer différents bénéfices, comme une meilleure productivité, et davantage d’attraction et de fidélisation de la main-d’oeuvre (Tremblay, 2019). Certaines enquêtes indiquent aussi que les organisations perçoivent des effets négatifs associés à l’absence de mesures (Conference Board du Canada, 1994).
Les mécanismes qui facilitent la conciliation emploi-famille sont diversifiés et peuvent provenir des membres de la famille, comme lorsque les grands-parents s’impliquent dans les soins envers les enfants, de l’État, par l’entremise d’une politique familiale comprenant des services de garde notamment, et des organisations, avec la mise en place de mesures formelles ou informelles de soutien à la conciliation. Les recherches montrent l’importance de la culture organisationnelle et des attitudes des collègues et des supérieurs dans l’expérience de conciliation (Fusulier, 2011; Fusulier, Laloy et Sanchez, 2009; Tremblay, 2012, 2019), un constat d’autant plus vrai en temps de pandémie (Cook et al., 2021; Tremblay et Mathieu, 2020). La prise en compte et l’offre de mesures de conciliation vie personnelle-vie professionnelle est essentielle pour comprendre, documenter et favoriser l’égalité entre les genres, et plus particulièrement entre les pères et les mères, dans les organisations. Nous nous intéressons ici surtout au rôle joué par les organisations, et au lien entre la composition démographique de ces dernières en termes de genre et l’offre de mesures de conciliation, car les travaux réalisés à ce jour présentent des conclusions divergentes, certaines recherches concluant que les milieux féminins seraient plus soutenants (Goodstein, 1994), alors que d’autres ont observé que ce n’était pas toujours le cas (Fusulier, 2011; Tremblay, 2019), dans le milieu de la santé notamment (Tremblay, 2012). Il y aurait donc possiblement des différences entre les milieux masculins et féminins, mais ceci reste à valider (Bradley et al., 2010; Brandth et Kvande, 2009; Tremblay, 2012).
Dans ce texte, nous nous penchons sur l’enjeu de la conciliation emploi-famille des mères et des pères dans les organisations québécoises sur la base de l’analyse de données de deux enquêtes menées par notre partenaire de recherche, l’initiative Concilivi du Réseau pour un Québec Famille. Notre objectif est de décrire les pratiques de conciliation offertes par les employeurs durant la pandémie selon le genre dominant de la main-d’oeuvre. À cette fin, nous documentons l’expérience de conciliation emploi-famille des parents québécois sur le plan du degré de difficulté de conciliation, de la perception des attentes et du niveau de compréhension de l’employeur, ainsi que la disponibilité de mesures favorisant la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales dans les organisations. Tout en tenant compte du contexte institutionnel du Québec, nous montrons qu’il existe une correspondance entre la composition démographique d’une entreprise — en termes du genre de la majorité de la main-d’oeuvre — et l’offre de mesures de conciliation emploi-famille, ainsi que l’évaluation des avantages et des inconvénients liés à cette offre. Autrement dit, les organisations qui emploient majoritairement des femmes semblent montrer plus d’ouverture à l’égard des initiatives organisationnelles pour favoriser la conciliation emploi-famille que les entreprises plus masculines, et ceci pourrait être particulièrement important en contexte de pandémie, alors que les femmes sont sursollicitées dans leur vie privée en plus de leur vie professionnelle.
L’article est organisé comme suit. Nous débutons par une discussion portant sur le contexte social et institutionnel québécois en mettant l’accent sur le rôle de l’État et des entreprises comme vecteurs ayant un effet déterminant sur la conciliation emploi-famille. Nous élaborons par la suite notre contexte théorique à l’aide de la théorie institutionnelle en mettant l’accent sur le lien entre la présence des femmes dans les organisations et la disponibilité des mesures de conciliation emploi-famille. Les deux enquêtes sur lesquelles reposent nos analyses ainsi que les principales variables utilisées sont présentées dans la troisième section. Nous dévoilons ensuite nos résultats en deux temps : nous montrons, dans un premier temps, que les parents rapportent une conciliation le plus souvent « facile », même en temps de pandémie, et que la perception des hommes et des femmes face au soutien organisationnel offert par leur employeur ne varie pas significativement selon le genre au printemps 2020. Dans un deuxième temps, nous brossons un portrait des mesures de conciliation emploi-famille offertes dans les organisations qui emploient majoritairement des hommes, celles où travaillent majoritairement des femmes, et celles qui sont mixtes. Notre recherche contribue à l’étude des déterminants de la conciliation emploi-famille dans le contexte singulier du Québec et en période de pandémie, au-delà des mécanismes offerts par l’État, comme les services de garde et les prestations parentales.
1 Contexte
L’enjeu de la conciliation emploi-famille devient particulièrement important au Québec au cours des années 1990. Du point de vue de la main-d’oeuvre, cette préoccupation reflète les difficultés des familles à concilier les activités marchandes et reproductives, dans un contexte où la participation au marché du travail des femmes — et plus particulièrement des mères — augmente rapidement. En 1976, 29,8 % des mères ayant un enfant de moins de 6 ans étaient actives sur le marché du travail; en 2019, cette proportion grimpe à 82 % (Statistique Canada, 2019). Avec la forte présence des mères sur le marché du travail, les difficultés de conciliation sont vécues par une proportion significative de travailleurs, mais surtout de travailleuses. Même si les couples adoptent différentes stratégies pour diminuer les difficultés de conciliation emploi-famille, ce sont les femmes qui font encore la majorité des concessions concernant l’accomplissement des soins aux enfants et des tâches ménagères (Morin, Fortier et Deschenaux, 2018) et qui sont confrontées au « plafond de mère » (Genin, 2017).
Du point de vue de l’État, il devient important, au tournant du millénaire, d’offrir une politique familiale qui favorise la conciliation emploi-famille et l’égalité entre les genres, en soutenant l’engagement des mères sur le marché du travail. À cette fin, l’État québécois propose deux principales mesures de soutien aux familles. La première est celle de la mise en place d’un réseau de services de garde à la petite enfance et en milieu scolaire à faible coût, qui amènera rapidement l’entrée de 70 000 femmes additionnelles sur le marché du travail (Fortin, Godbout et St-Cerny, 2012). Dès le départ, et jusqu’à aujourd’hui, ces services sont très populaires : en 2019, 64 % des enfants d’âge préscolaire fréquentaient un service de garde (ministère de la Famille, 2019), alors que c’était le cas de 59 % des enfants inscrits à une école primaire publique (Conseil supérieur de l’éducation, 2020). La deuxième mesure est celle de la création d’un programme de congés parentaux, le Régime québécois d’assurance parentale, avec des prestations de maternité, de paternité et parentales généreuses et facilement accessibles. Ce programme est également très apprécié, et une majorité de pères utilisent les prestations de paternité (Mathieu, Doucet et McKay, 2020; Tremblay et Lazzari-Dodeler, 2015), ce qui distingue le Québec du reste du Canada et le rapproche de la situation des pays de l’Europe du Nord.
Du côté des entreprises, l’enjeu de la conciliation emploi-famille devient important à la lumière des avantages documentés retirés par les organisations, et qui facilitent la conciliation entre les responsabilités professionnelles et familiales de leurs employés. Au Québec, des études indiquent que la présence de mesures de conciliation emploi-famille est de plus en plus fréquente et contribue à réduire le conflit emploi-famille dans plusieurs organisations, mais il reste encore nombre d’entre elles qui ne satisfont pas la demande (Tremblay, 2012, 2019). Aussi, on ne sait pas pour quelles raisons les organisations mettent en place des mesures, bien qu’en l’absence de ces dernières, certaines constatent les coûts liés à la baisse de productivité, aux absences et retards, ou encore les baisses de motivation ou d’engagement au travail (Conference Board du Canada, 1994; Tremblay, 2019).
2 Cadre théorique
Notre étude se situe au confluent de la littérature sociologique et managériale sur la question de la conciliation emploi-famille, du soutien organisationnel et des inégalités de genre. Le fil conducteur de cette recherche est l’idée que la politique québécoise reflète, renforce et légitimise le double rôle des mères et des pères comme parent et comme travailleuse ou travailleur, mais aussi que les organisations offrent un soutien aux parents, même en temps de pandémie. Autrement dit, nous mettons l’accent sur le lien entre l’expérience de conciliation emploi-famille, la politique familiale québécoise, le régime de soins, l’offre de soutien organisationnel (niveau de compréhension de l’employeur) ainsi que les mesures de conciliation emploi-famille dans les organisations.
Notre réflexion s’inscrit dans le cadre de la théorie institutionnelle. Au niveau macro, cette théorie repose sur le postulat de l’effet structurant des institutions sur l’élaboration des politiques sociales (Béland, 2002), incluant les mesures de conciliation emploi-famille mises en place par l’État. Au-delà des préférences ou des choix personnels, cette théorie met davantage l’accent sur les pressions institutionnelles qui influent sur la division sociale du travail et le partage des tâches de soins. Par exemple, un des outils conceptuels les plus souvent utilisés dans l’étude des politiques familiales est celui de l’échelle de défamilialisation/familialisation de soins (Esping-Andersen, 1999; Leitner, 2003) et, plus récemment, du continuum dématernalisation/maternalisation (Mathieu, 2016). Dans les pays familialistes et maternalistes, les soins aux enfants sont perçus comme relevant de la responsabilité de la famille, et plus précisément de la mère. En revanche, les sociétés qui valorisent la défamilialisation et la dématernalisation favorisent le partage des responsabilités du travail de soins entre les parents, l’État et les organisations.
À l’instar des pays de l’Europe du Nord, le Québec se situe dans le sillon des sociétés sociales-démocrates (Paquin, 2016; van den Berg et al., 2017), du moins dans l’architecture de sa politique familiale axée sur la conciliation emploi-famille et l’égalité entre les genres. La politique familiale a permis la mise en place d’un climat normatif, qui donne lieu à certaines attentes comme celles de la famille à double gagne-pain, dans laquelle les deux partenaires sont engagés dans les tâches de soins envers les enfants et les responsabilités familiales.
Au niveau meso, la théorie institutionnelle met l’accent sur les pressions institutionnelles qui incitent les employeurs à réagir à leur environnement en adoptant de nouvelles pratiques, comme la mise en place de mesures de conciliation, et en offrant un meilleur soutien et une plus grande compréhension à l’endroit des parents. La recherche montre que les entreprises implantées à l’intérieur d’une société favorisant la conciliation emploi-famille subissent des pressions pour élaborer des régimes de travail flexibles (den Dulk, Peters et Poutsma, 2012). Les entreprises étant influencées par le climat social et institutionnel dans lequel elles s’insèrent, la politique familiale et les pratiques organisationnelles sont en quelque sorte interdépendantes (den Dulk, Peters et Poutsma, 2012; Joecks, Kurowska et Pull, 2021) puisqu’elles font partie d’un même tout.
2.1 La présence des femmes dans les organisations et la disponibilité des mesures de conciliation
Dans les années 1990, Goodstein (1994) montre que la présence des femmes dans une organisation constitue un facteur déterminant dans la prise en compte de la conciliation emploi-famille. Les employeurs, qui ont besoin de la main-d’oeuvre féminine, sont incités à adopter des mesures de conciliation, comme la mise en place d’un service de garde et des horaires de travail flexibles. La présence d’une forte proportion de mères assumant des responsabilités familiales représente une condition essentielle pour exercer une influence considérable sur les employeurs (David et Kallenberg, 2006; Goodstein, 1994). Notons par contre que d’autres études ont montré que les milieux féminins n’offrent pas toujours plus de mesures et ne sont pas toujours plus soutenants (Fusulier, 2011; Tremblay, 2019), d’où la pertinence de notre étude pour mesurer cela avec des données représentatives de la population des parents québécois.
Plusieurs études internationales montrent que la culture organisationnelle constitue un facteur important qui influence l’expérience de conciliation emploi-famille (Goñi, Pilar et León, 2021; Kim et Faerman, 2013). À la fin des années 1990, l’étude pionnière de Thompson, Beauvais et Lyness (1999) montre que la « culture organisationnelle travail-famille » (work-family culture) —– définie comme un ensemble d’hypothèses partagées, de croyances et de valeurs qui déterminent l’étendue du soutien des entreprises à leurs salariés dans l’intégration de leurs vies professionnelle et personnelle — est liée à l’utilisation de mesures de conciliation emploi-famille. La culture organisationnelle travail-famille est également associée à une diminution du conflit ressenti entre les activités professionnelles et familiales par les salariés ainsi qu’à une réduction des intentions de quitter l’organisation (Thompson, Beauvais et Lyness, 1999). Cette observation illustre l’importance d’examiner la culturelle organisationnelle comme déterminant de la disponibilité et de l’utilisation de mesures de soutien aux familles.
D’une part, la culture organisationnelle masculine — qui s’appuie sur l’idée de l’existence de deux sphères, du travail et des soins, comme étant distinctes et séparées — permet aux employeurs de se déresponsabiliser de la question du bien-être de la famille (Haas et Hwang, 2007). D’autre part, la culture organisationnelle féminine met en relief l’interdépendance entre l’univers du travail rémunéré et celui des soins aux personnes dépendantes. Les organisations qui emploient majoritairement des femmes rapportent davantage de mesures de conciliation, comme des heures de travail flexibles (David et Kallenberg, 2006). De plus, les hommes oeuvrant dans une entreprise dont la main-d’oeuvre est majoritairement féminine obtiendraient plus de soutien organisationnel informel, comme une attitude positive de leur supérieur et de leurs collègues lors de l’utilisation d’un congé parental, ou une réduction des heures de travail pour prodiguer des soins (Haas et Hwang, 2007). Ces divers éléments concernant la culture organisationnelle et la prédominance masculine ou féminine dans un milieu de travail nous ont conduit à nous intéresser au fait que certains milieux majoritairement masculins ou féminins pourraient présenter des situations différentes. Alors que la plupart des recherches antérieures portent sur des milieux professionnels particuliers, nous nous questionnons à savoir si les milieux féminins offrent davantage de mesures de conciliation en raison d’une plus forte culture organisationnelle travail-famille. Il est également possible, dans le cas du Québec et de son orientation sociale-démocrate, que la composition démographique des organisations ne soit pas liée à la disponibilité des mesures de soutien aux familles, les hommes comme les femmes, étant légitimés dans leur rôle parental.
3 Cadre méthodologique
La recherche s’inscrit dans le cadre d’un partenariat de recherche avec l’initiative Concilivi du Réseau pour un Québec Famille; l’entreprise Léger a été retenue pour mener différentes enquêtes dans le but d’évaluer la qualité de la conciliation emploi-famille des parents et proches aidants actifs sur le marché du travail ainsi que les perceptions des employeurs. Les données des deux enquêtes sur lesquelles nous nous appuyons ont été recueillies pendant les premiers mois de la pandémie de COVID-19.
La première enquête a été menée en ligne entre le 7 et le 22 mai 2020 auprès de 3 006 travailleurs québécois qui sont parents ou proches aidants, âgés de 18 ans et plus et pouvant s’exprimer en anglais ou en français. À ce moment, même si le gouvernement avait mis en place des services de garde d’urgence pour les enfants des travailleurs de première ligne, les écoles et les services de garde étaient encore fermés (Mathieu, 2021a). La réouverture des services de garde s’est faite par phases à partir de la mi-mai, de sorte que la majorité des enfants étaient gardés à la maison au moment de l’enquête. Sur l’échantillon de 3 006 travailleurs, les personnes ayant continué à travailler étaient au nombre de 2 293, et c’est donc sur cette base que sont fondées les premières analyses présentées. Les données ont été pondérées selon le genre et selon l’âge.
La deuxième enquête a été menée auprès des employeurs québécois en octobre 2020, au moment où les écoles et les services de garde étaient ouverts. Une méthode de sondage hybride a alors été utilisée : un sondage Web a été réalisé du 14 au 22 octobre 2020 auprès de 638 responsables des ressources humaines dans des organisations québécoises, et un sondage téléphonique auprès de 371 répondants des ressources humaines a été mené durant la même période. Un total de 1 008 organisations sont représentées dans l’enquête; de ce nombre, 331 détiennent une main-d’oeuvre majoritairement masculine, 381, majoritairement féminine et 289 entreprises ont une main-d’oeuvre mixte. Les résultats ont été pondérés selon le nombre d’employés des organisations, les régions et le secteur d’activité. À des fins de comparaison, un échantillon probabiliste de 1 008 répondants aurait une marge d’erreur de ± 3,9 %, 19 fois sur 20[3].
Même si les deux enquêtes ne sont ni comparatives ni menées avec les mêmes répondants — la première a été menée auprès d’employés et la seconde, auprès d’employeurs — nous juxtaposons leur analyse parce que la situation des employés et des employeurs est tributaire du contexte national qui favorise (ou non) la conciliation emploi-famille. À partir de la première base de données, nous documentons la situation de conciliation des parents, ceux étant donc le plus sujets à vivre des conflits emploi-famille. À cette fin, nous analysons les réponses à la question 16 de l’enquête, soit « À quel point avez-vous trouvé facile ou difficile de concilier famille et travail dans ce nouveau contexte? », allant de « très facile » à « très difficile », selon le sexe. Nous examinons également les réponses à la question 20 « Diriez-vous que votre employeur s’est montré compréhensif de votre situation ou non? » et à la question 21, « Votre employeur a-t-il diminué ses attentes envers vous en ce qui concerne votre productivité au travail ou celles-ci sont demeurées sensiblement les mêmes? », et ce, selon le sexe.
À partir de la deuxième base de données, nous documentons les liens entre le genre de la majorité des employés d’une organisation et l’ouverture et la disponibilité des employeurs à offrir des mesures de conciliation emploi-famille. La composition démographique des organisations est mesurée sur la base des réponses données par les responsables des ressources humaines, qui devaient préciser si les employés de leur organisation étaient majoritairement des hommes, majoritairement des femmes ou approximativement autant l’un que l’autre. En utilisant ce classement, nous analysons les réponses à trois catégories de questions, soit celles qui portent sur la disponibilité de diverses mesures de conciliation au sein de l’organisation, celles qui documentent les effets positifs et négatifs attribuables à ces mesures et les réponses à une série d’affirmations en lien avec la désirabilité des mesures de conciliation emploi-famille.
4 Résultats
4.1 La conciliation emploi-famille en temps de pandémie : la perception des parents
L’analyse des données de l’enquête de mai 2020 réalisée auprès des parents révèle trois constats importants sur l’expérience de conciliation emploi-famille. Premièrement, la majorité des parents (62 %) ont qualifié leur conciliation emploi-famille comme étant « facile ». Le genre vient toutefois teinter les réponses des répondants : les hommes qualifiant leur conciliation comme « facile » dans une proportion significativement plus élevée (65 %), et les femmes, dans une proportion significativement plus faible (58 %) (voir tableau 1). Même si ce constat s’inscrit dans le sillon d’autres travaux qui ont montré l’effet du genre sur la conciliation emploi-famille en temps de pandémie, les femmes vivant davantage de conflits entre leurs activités professionnelles et familiales (voir entre autres Lemieux et al., 2020; Qian et Fuller, 2020), nos recherches (Mathieu et Tremblay, 2021, 2022) indiquent aussi que la crise de COVID-19 a facilité la conciliation emploi-famille pour de nombreux parents, à l’instar d’autres travaux canadiens (Schieman et al., 2021). Des données compilées en 2018, 2020 et 2021 montrent qu’une plus grande proportion de parents, hommes et femmes, estiment vivre une conciliation emploi-famille facile depuis le début de la pandémie (Mathieu et Tremblay, 2022). La forte proportion de parents rapportant une conciliation facile ne s’explique donc pas par un effet de sélection — les parents qui vivent une conciliation difficile ayant possiblement quitté leur emploi — puisque la tendance se poursuit au-delà de 2020 et après la reprise économique (Mathieu et Tremblay, 2022).
Ensuite, nous n’avons pas relevé de différence significative entre la perception des hommes et des femmes face au niveau de compréhension offert par leur employeur (voir tableau 2); il semblerait donc que les hommes et les femmes aient perçu que leur employeur était compréhensif dans des proportions similaires. Aussi, une faible proportion de parents travailleurs — 10 % chez les hommes et chez les femmes — ont affirmé que leur employeur ne s’était pas montré compréhensif de la situation. Nos données ne permettent toutefois pas de savoir si les perceptions des répondants sont justes, et si les employeurs ont en effet manifesté le même niveau d’empathie avec leurs employés hommes et femmes. Cela témoigne tout de même de leur perception du soutien organisationnel offert par leur employeur, et ceci a un effet sur la perception de la difficulté ou facilité à concilier leurs vies personnelle et professionnelle (Fusulier, 2011; Tremblay, 2012, 2019).
Enfin, il n’y a pas de différence significative entre les hommes et les femmes dans leur perception des attentes de leur employeur (voir tableau 3). Une proportion identique de pères et de mères (22 %) affirme que leur employeur a diminué ses attentes. Il semblerait donc que les femmes n’aient pas bénéficié d’un traitement particulier : même si les attentes sont restées les mêmes pour une proportion légèrement inférieure chez les femmes (68 %), la différence entre les hommes et les femmes n’est pas significative à cet égard.
4.2 Des mesures de conciliation surtout disponibles dans les entreprises à majorité féminine
L’enquête menée à l’automne 2020 auprès des employeurs permet de relever un certain nombre de constats généraux basés sur l’analyse des réponses de l’ensemble des représentants des ressources humaines ayant participé à l’étude. D’abord, la quasi-totalité (soit 91 %) des organisations affirme offrir des mesures de conciliation emploi-famille (voir tableau 4). Près du deux tiers (63 %) des employeurs mentionnent que ces mesures sont informelles, une proportion qui grimpe à 75 % dans les organisations du secteur privé (données non illustrées ici). Les mesures les plus populaires sont la flexibilité des horaires (71 %) ainsi que la flexibilité dans le choix des vacances (60 %) (voir tableau 4).
Comme le montre le tableau 4, les organisations employant majoritairement des hommes offrent un peu plus de mesures de conciliation emploi-famille (95 %). Ces mesures sont toutefois différentes de celles qui sont offertes dans les organisations à prédominance féminine. D’abord, elles sont significativement plus souvent informelles (à 73 % du temps contre 58 % dans les entreprises employant majoritairement des femmes), alors que les mesures formelles sont significativement plus souvent offertes dans les entreprises employant une majorité de femmes (20 % contre 12 %, données non illustrées). Ensuite, ces mesures sont plus souvent financières : il existe un écart de 8 points de pourcentage entre les entreprises employant majoritairement des hommes et celles où travaillent majoritairement des femmes dans la disponibilité des congés payés pour responsabilités familiales (36 % comparativement à 28 %). En revanche, dans les entreprises à prédominance féminine, différents outils d’accommodement de l’horaire comme la flexibilité dans le choix des vacances, la flexibilité des horaires de travail, le télétravail, et des mesures visant l’adaptabilité de l’organisation telles que le droit à la déconnexion sont offerts dans une proportion significativement plus élevée. Aussi, les entreprises dans lesquelles oeuvrent une majorité d’hommes offrent significativement moins souvent la semaine comprimée ou le télétravail, cette dernière mesure étant pourtant offerte dans 37 % des organisations à prédominance féminine.
Ce sont toutefois les entreprises mixtes, pour 88 % d’entre elles, qui offrent le moins de mesures de conciliation. Les organisations avec une répartition plus égalitaire d’hommes et de femmes offrent significativement moins souvent de banques de temps accumulé (26 % contre 38 % pour l’ensemble des entreprises), de flexibilité dans le choix des vacances (55 % contre 60 %) et de mesures visant l’adaptabilité à l’organisation (12 % contre 17 %).
L’analyse des perceptions liées aux effets positifs et négatifs de la mise en place des mesures de conciliation emploi-famille varie également selon le genre de la majorité des employés. C’est ce que révèlent les données des tableaux 5 et 6. Dans les organisations où les employés sont surtout des hommes, on rapporte significativement moins d’effets positifs liés aux mesures (73 % contre 79 % pour l’ensemble des organisations). En outre, les entreprises qui emploient une majorité d’hommes sont nettement moins susceptibles de voir un effet positif de ces mesures sur le climat de travail (46 % contre 54 % pour l’ensemble des organisations), la satisfaction ou la motivation (48 % contre 56 %), le service à la clientèle (27 % contre 33 %), l’absentéisme (28 % contre 36 %) et la productivité (31 % contre 36 %). De même, les organisations qui emploient majoritairement des hommes notent significativement plus d’effets négatifs (40 % contre 34 % pour l’ensemble des organisations) liés à la mise en place d’accommodements. Selon eux, ces effets négatifs sont liés à l’augmentation des coûts (10 %), à la difficulté à respecter les échéanciers (10 %) et à la qualité du service à la clientèle (7 %).
Le portrait est opposé dans les organisations féminines, même si, dans l’ensemble, elles ne rapportent pas significativement plus d’effets positifs et moins d’effets négatifs que l’ensemble des organisations. Les entreprises qui emploient majoritairement des femmes estiment dans une proportion significativement plus élevée que les mesures de conciliation contribuent à l’amélioration du climat de travail (60 % contre 54 % pour l’ensemble des organisations), à la satisfaction et la motivation des employés (61 % contre 56 %) et à la baisse de l’absentéisme (41 % contre 36 %). Les organisations à majorité féminine rapportent également moins d’effets négatifs liés à la mise en oeuvre de mesures de conciliation, bien que les données ne soient pas significativement différentes de celles de l’ensemble des organisations.
Le tableau 7 confirme les différences de perceptions liées aux effets des mesures de conciliation emploi-famille entre les organisations mixtes, à majorité féminine et à majorité masculine. Le tableau 7 montre que la majorité des organisations, quelle que soit leur composition démographique, affirment que les mesures de conciliation emploi-famille engendrent des effets positifs sur l’attractivité de l’organisation et sur la rétention du personnel. La majorité des organisations estiment également que la conciliation emploi-famille constitue une attente incontournable, et que de bonnes pratiques dans ce domaine représentent un avantage concurrentiel.
En comparant les réponses obtenues par les ressources humaines des organisations à majorité féminine ou masculine, on distingue une fois de plus certaines tendances significatives, les entreprises employant majoritairement des hommes étant moins portées à croire à l’effet positif de la conciliation emploi-famille sur l’attractivité, le recrutement et la rétention du personnel. Une proportion significativement plus élevée de ces entreprises (11 %) est en total désaccord avec les effets positifs des mesures de conciliation sur l’attraction et la rétention du personnel et avec l’idée selon laquelle la conciliation serait une attente incontournable des employés. Les réponses provenant des services des ressources humaines des entreprises composées d’une main-d’oeuvre surtout féminine évoquent une culture organisationnelle différente. Une forte majorité de ces entreprises — 91 % d’entre elles — croit au pouvoir attractif des mesures de conciliation pour le recrutement de nouveaux employés. Dans le même ordre d’idée, une proportion significativement élevée (86 %) de ces entreprises estime que de bonnes mesures de conciliation constituent un avantage concurrentiel au sein de leur organisation.
Discussion et conclusion
Notre étude permet de mettre en lumière les liens entre le genre et la conciliation emploi-famille, non seulement du point de vue des employés, mais également du point de vue des employeurs des organisations mixtes, majoritairement féminines ou majoritairement masculines, et ce, avec une base de données pondérées, dans le contexte institutionnel du Québec. Le Québec est reconnu comme étant la nation nord-américaine la plus progressiste (Paquin, 2016), notamment sur le plan des relations de genre en raison de la prédominance du modèle du double gagne-pain valorisé et facilité par la politique familiale en place depuis 1997 (Mathieu et Tremblay, 2020). L’analyse des données des deux enquêtes amène deux constats.
Une expérience de conciliation relativement indifférenciée selon le genre
Le premier constat est celui de la facilité rapportée par les parents à concilier leurs tâches de travail rémunéré et de soins. Des travaux précédents ont évoqué différentes hypothèses pouvant expliquer cette observation inattendue, d’autant plus qu’une plus grande proportion de parents rapportent une conciliation plus « facile » pendant la pandémie — au moment où les écoles et les services de garde sont fermés — qu’avant le début de la crise sanitaire (Mathieu et Tremblay, 2021, 2022). Parmi ces hypothèses figure l’importance d’analyser les données selon l’âge des enfants, les mères de jeunes enfants rapportant des difficultés plus importantes (Schieman et al., 2021). La mise en place du télétravail à grande échelle et la réduction des temps de déplacement pour amener les enfants à l’école, au service de garde ou aux différentes activités parascolaires (Craig et Churchill, 2020), pourraient avoir contribué à la diminution des conflits de temps vécus par les parents, et amélioré la conciliation.
En examinant les données recueillies au printemps 2020, il apparaît que l’expérience des hommes et des femmes est somme toute assez semblable, les pères et les mères indiquant une conciliation facile, en ne percevant pas un soutien différencié de leur employeur selon le genre. Ce constat pourrait s’expliquer par la légitimité du rôle des femmes comme travailleuses, mais aussi celle des pères comme ayant des responsabilités familiales. La pandémie de COVID-19 a révélé que la plus grande partie du travail de soins reposait sur les mères (ASPQ, 2020; Zossou, 2021), mais des études ont aussi montré un engagement accru de la part des pères dans les soins aux enfants depuis le début de la crise sanitaire (Del Boca et al., 2020), au Canada y compris (Shafer, Milkie et Scheibling, 2020). Cette situation pourrait mener, selon certains observateurs, à une division plus égalitaire du travail de soins (Craig et Churchill, 2020; Del Boca et al., 2020; Yerkes et al., 2020). La symétrie observée entre les hommes et les femmes dans leur expérience de conciliation et leur perception des attentes de l’employeur à leur égard traduit l’influence du contexte institutionnel québécois, qui valorise, tant pour les mères que pour les pères, l’activité économique et l’engagement dans les tâches de soins, même lorsque les enfants sont très jeunes. Ce premier constat semble confirmer, du moins partiellement, l’idée selon laquelle les hommes et les femmes ont des parcours professionnels et des responsabilités familiales comparables, sans être parfaitement égalitaires[5], surtout lorsque les parents n’ont qu’un seul enfant (Connolly, Fontaine et Haeck, 2018).
Une culture organisationnelle qui correspond à la composition genrée de la main-d’oeuvre
L’examen de la base de données recueillies auprès des employeurs à l’automne 2020 montre que la présence d’une majorité d’hommes ou d’une majorité de femmes correspond à une offre diversifiée de mesures de conciliation ainsi qu’à des perceptions différentes quant aux effets et à la pertinence de ces mesures. Notre démarche n’étant pas causale, nous ne pouvons affirmer que la composition est le déterminant principal de la disponibilité des aménagements facilitant la conciliation emploi-famille. Adame, Caplliure et Miquel (2016) indiquent que la présence des femmes est une condition essentielle, mais non suffisante, à certains changements organisationnels, la mise en place de mesures de conciliation étant tributaire de la présence des femmes (surtout dans des postes de direction) et de l’engagement de l’entreprise envers l’enjeu de la conciliation famille-travail. Or, les données que nous avons analysées ne permettent pas de connaître le genre des personnes dans des postes de direction, et donc, de savoir si c’est la présence d’une main-d’oeuvre féminine, ou plutôt la présence des femmes dans des postes de direction, qui est pertinente pour comprendre les caractéristiques des organisations qui offrent des mesures de conciliation emploi-famille. Aussi, on ne peut écarter l’idée d’un lien de causalité inversé, et que c’est la disponibilité de certaines mesures qui attire les femmes dans une organisation plutôt que l’inverse.
De même, nous ne pouvons pas savoir a priori si les perceptions relatives aux effets positifs et négatifs de la disponibilité de certaines mesures prédisposent les organisations à les offrir. Toutefois, les données de l’enquête révèlent qu’une majorité d’entreprises employant davantage de femmes — 53 % d’entre elles — ont déjà consulté leurs employés afin d’évaluer leurs besoins de conciliation. Cette proportion n’est que de 40 % dans les organisations dont la main-d’oeuvre est principalement masculine. Il est donc possible que la culture organisationnelle des entreprises féminines soit différente et plus axée sur la consultation et sur la mise sur pied de mesures facilitant la conciliation emploi-famille des employés, qui sont surtout des femmes et potentiellement des mères. Cette hypothèse, qui reste à valider, viendrait soutenir l’idée que le point de départ pour la mise en place de mesures de conciliation, qu’elles soient formelles ou informelles, est celui d’une intégration accrue des mères dans tous les niveaux hiérarchiques des organisations où elles sont peu nombreuses.
En dépit du fait que la présence d’une majorité d’hommes ou d’une majorité de femmes semble correspondre à une offre distincte de mesures de conciliation ainsi qu’à une évaluation différente de leur pertinence, les données indiquent une certaine forme de consensus, même lorsque la composition démographique de la main-d’oeuvre et les types d’entreprises diffèrent. La forte majorité des organisations ont affirmé offrir des mesures de conciliation et observer des effets positifs liés à ces mesures, alors qu’une minorité d’entre elles pensent que la mise en place de mesures de conciliation emploi-famille entraînerait des effets négatifs. De même, les réponses à la série d’affirmations en lien avec la désirabilité des mesures de conciliation emploi-famille montrent des tendances similaires, même si les entreprises employant surtout des femmes semblent vouloir mettre davantage de l’avant l’importance d’offrir des mesures de conciliation au sein de l’entreprise. Ces constats demeurent en dépit du fait que les organisations masculines sondées sont largement des entreprises privées (83 %), qui offrent typiquement moins de mesures de conciliation emploi-famille que le secteur public et les administrations publiques en particulier (Tremblay, 2019), alors que ce n’est le cas que pour 53 % des organisations féminines.
Ainsi, même si les données montrent une plus grande disponibilité des mesures de conciliation dans les entreprises employant majoritairement des femmes, l’attitude généralisée d’ouverture des organisations québécoises envers l’enjeu de la conciliation emploi-famille reflète le contexte institutionnel plus large, qui encourage et qui soutient le partage du travail de soins entre l’État, la famille et les organisations, mais aussi de manière relativement égalitaire entre le père et la mère. La politique familiale québécoise, qui permet et qui légitimise l’utilisation des prestations parentales par les hommes (surtout avec le congé de paternité non transférable à la mère), et le recours à des services de garde à bas âge, met en relief le fait que les pères, tout comme les mères, doivent concilier des responsabilités familiales et professionnelles.
Cela dit, la conciliation emploi-famille ne peut être une question exclusivement réservée aux femmes et aux secteurs d’emploi traditionnellement féminins. L’intégration des pères et des mères dans les différents paliers hiérarchiques d’une organisation passe par une uniformisation de l’offre de mesures formelles et informelles permettant la conciliation emploi-famille, et par la mise en place d’une politique familiale favorisant l’égalité entre les genres. À cet égard, on peut se réjouir des changements récents apportés au Régime québécois d’assurance parentale, qui récompense les couples qui partagent le congé parental en leur octroyant des semaines supplémentaires de prestations (Mathieu, 2021b).
Notre recherche comporte évidemment des limites. Parmi celles-ci, notons premièrement le fait que le partenariat n’était pas établi au moment des premières collectes de données de sorte que nous n’avons pas élaboré les questions de ces enquêtes. Deuxièmement, les données présentées dans cette recherche ont été recueillies au cours de la crise sanitaire, et il est donc possible que les réponses offertes par les employeurs soient le reflet d’ajustements temporaires et d’une offre plus généreuse de mesures de conciliation. Troisièmement, la définition de ce que constitue une organisation mixte, à prédominance masculine ou à prédominance féminine manque de précision; elle repose uniquement sur l’avis du répondant aux ressources humaines de chacune des organisations, qui devait préciser si les employés de son milieu de travail étaient majoritairement des hommes, majoritairement des femmes ou approximativement autant l’un que l’autre. Enfin, les données sur l’enquête menée auprès des employeurs ne permettent pas de connaître le genre des répondants. On ne peut donc pas exclure la possibilité que, au-delà de la composition démographique des organisations, le genre du répondant aux ressources humaines puisse influencer sa perception relativement aux effets positifs ou négatifs de la mise en place de mesures de conciliation emploi-famille.
Appendices
Notes
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[1]
Cette recherche a été financée par une Subvention de partenariat du CRSH (895-2020-1011).
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[2]
Les auteures souhaitent remercier les trois évaluateurs anonymes pour leur lecture attentive et leurs suggestions pertinentes ainsi que l’initiative Concilivi du Réseau pour un Québec Famille pour leur précieuse collaboration.
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[3]
Même si l’échantillon est non-probabiliste, Léger emploie des méthodes de recrutement et de contrôle des échantillons pour les rendre représentatifs de la population. C’est pourquoi la marge d’erreur est fournie à titre comparatif pour un échantillon probabiliste de la même taille.
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[4]
Pour tous les tableaux suivants, les données statistiquement significatives sont indiquées avec un astérisque. Les données en italique indiquent une différence significative statistiquement inférieure par rapport aux autres répondants qui composent le sous-groupe, alors que les nombres en gras indiquent une différence significative statistiquement supérieure.
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[5]
Un exemple qui reflète bien l’idée de parcours semblable sans être égalitaire est celui de l’utilisation des prestations parentales. Même si le Québec fait figure de proue en raison de la forte proportion de pères qui utilisent les prestations de paternité (Mathieu, Doucet et McKay, 2020; Tremblay et Lazzari-Dodeler, 2015), il n’en demeure pas moins que les femmes se retirent plus longtemps du marché du travail que les hommes à la suite de l’arrivée d’un enfant, les prestations parentales partageables étant surtout utilisées par les mères.
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