Recensions

La régulation sociale du risque émotionnel au travail. Par Thomas Bonnet, préface d’Arnaud Mias (2020) Octarès Éditions (Toulouse), 225 pages. ISBN : 978236630-100-7[Record]

  • Rebecca Dickason

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  • Rebecca Dickason
    Maître de Conférences, Univ. Gustave Eiffel, Univ. Paris-Est Créteil, IRG, F-77454 Marne-la-Vallée, France

Ces dernières années, s’est fait jour un intérêt grandissant pour les émotions au travail dans la littérature académique, que ce soit dans le sillage de la « révolution affective » initiée par les chercheurs principalement anglophones, ou par le biais d’incursions sur cette question par des chercheurs francophones dans des thèses, des articles, des ouvrages ou encore des dossiers thématiques de revues. Les champs disciplinaires concernés vont de la sociologie du travail au comportement organisationnel, en passant par le management et la psychologie du travail et des organisations. La littérature grise n’est pas en reste, car plusieurs instances se penchent sur la question des émotions au travail sous l’angle de la charge émotionnelle et des compétences. En témoigne, en France, le rapport du collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux (RPS) au travail (dont la rédaction a été assurée par Michel Gollac et Marceline Bodier) qui liste, en 2010, les exigences émotionnelles parmi les principaux facteurs de risques psychosociaux. En 2018, la Belgique intègre la charge émotionnelle comme un critère pouvant être pris en compte dans le calcul des coefficients de pénibilité (pour la pension des fonctionnaires exerçant un métier dit « pénible »). Depuis 2016, le Forum économique mondial inclut l’« intelligence émotionnelle » (Salovey & Mayer, 1990) comme compétence d’avenir pour « réussir au travail ». En 2017, l’ouvrage séminal d’Arlie Russell Hochschild, The Managed Heart (1983), qui traite du « travail émotionnel » (la gestion de ses propres émotions, ressenties ou affichées, conformément à certaines règles, lors d’une interaction avec un destinataire d’une activité de service — un client, un usager ou encore un patient), est traduit pour la première fois en français (sous le titre Le prix des sentiments). Avec la crise sanitaire de la COVID-19 et l’instauration des gestes barrières, le port du masque, la mise en place de procédures particulières dans les secteurs du soin ou des pompes funèbres pour limiter le risque infectieux, les dimensions relationnelles et émotionnelles du travail se sont trouvées bouleversées. Bref, plus que jamais, l’émotionalité organisationnelle est au coeur des préoccupations. Dans ce contexte, l’ouvrage La régulation sociale du risque émotionnel au travail, qui s’appuie sur la thèse de doctorat de sociologie de l’auteur, Thomas Bonnet, permet de revisiter cette question des émotions au travail sous la double focale du « risque émotionnel » et de sa régulation par les collectifs de travail, en positionnant ainsi les émotions « comme un problème récurrent de l’activité, un élément structurant du métier, et non seulement comme perturbatrices de l’activité » (cf. préface d’Arnaud Mias, p. 11). De facto, Thomas Bonnet nourrit son propos en puisant dans trois champs qu’il met en dialogue : le champ du risque, celui de la régulation sociale (en se référant, notamment, au cadre analytique de Jean-Daniel Reynaud, 1988) et celui des affects. Il s’appuie également sur un travail empirique qualitatif, combinant entretiens et observation, reposant sur trois terrains d’investigation rattachés à des milieux professionnels présentant des divergences, certes, mais également des convergences : les pompes funèbres, la police et l’hôpital (service pédiatrique). Avec cohérence et pédagogie, l’ouvrage se décline en sept chapitres articulés au sein de trois parties. La première partie se penche sur le « risque émotionnel », la seconde s’intéresse à la place et au rôle du collectif de travail, tandis que la troisième partie explore la routinisation de l’activité comme modalité de régulation du risque émotionnel. Dans le premier chapitre, l’auteur emmène son lecteur dans une réflexion sur le mal-être au travail et l’intérêt, dans ce cadre, de développer la notion distincte de « risque émotionnel ». Il explique …